CRITIQUES DE LIVRES

342 HEURES

DANS LA FACE NORD DES GRANDES JORASSES

 

 

 

 

par René DESMAISON. - Flammarion, Paris. 1973

(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 4 et 5, 1973)

 

" La montagne à mains nues " avait fait connaître au public un René Desmaison écrivain, un des meilleurs parmi les jeunes alpinistes modernes. Le présent livre est un témoignage au procès du drame des Jorasses. C'est bien d'un procès qu'il s'agit: Desmaison accusé se défend et contre-attaque.

Nous n'avons pas ici à témoigner dans ce débat ou à juger cette controverse. Ecrit rapidement, ce récit est loin de valoir, sur le plan littéraire, le précédent volume, mais l'intérêt du drame demeure et le talent évocateur de l'auteur ne se dément pas. On lit ces pages les mains moites.

On connaît le drame : René Desmaison et Serge Gousseault, faisant pour la première fois cordée commune, tentent, en hiver, une voie directe à la pointe Walker. La résistance au froid et aux dures conditions de Serge Gousseault n'est pas égale à celle, surhumaine, de Desmaison ; au 10e jour, le courageux compagnon s'arrête, agonise et meurt le 12e jour. A 80 m du sommet, au 15e jour, on doit venir chercher le survivant grâce à un pilote exceptionnellement habile et courageux.

La malheureuse cordée fait penser à un navire qui fait naufrage. Le lent épuisement de Serge Gousseault, le manque progressif de matériel et de vivres saisissent d'angoisse le lecteur témoin lucide de cet enlisement. L'auteur, dont les forces restèrent presque intactes jusqu'aux deux derniers jours, trouve des mots justes et émouvants; sa sincérité paraît totale.

On aurait aimé plus de précision sur l'itinéraire suivi dans cette immense paroi. Les passages de rocher très raides mêlés de glace se ressemblent entre eux et l'on arrive mal à situer où se trouvent les grimpeurs au moment de tel ou tel passage difficile.

Sans vouloir rien conclure, en fermant ce livre on ne peut échapper à l'impression qu'une ascension de cette envergure en hiver ne devrait pas être entreprise sans que l'échec soit prévu et le sauvetage envisagé à l'avance. En s'engageant, les deux alpinistes ont engagé la vie des sauveteurs, pas seulement la leur, et ceci d'autant plus que désormais le secours vient aussi de gens comme les pilotes d'hélicoptères qui ne sont pas des alpinistes et pour qui on ne peut parler de solidarité dans le risque : " hodie mihi cras tibi ".

La précarité des communications entre sauveteurs et sauvés est désolante. Quelques fanions de couleurs et de significations conventionnelles ne pèseraient que quelques grammes et éviteraient toute confusion. Il paraît urgent de réviser complètement le système des signaux de détresse.

Ce récit, profondément émouvant, sauvera sans doute des vies humaines dans l'avenir. Ce n'est pas un mince mérite.

Alain de CHATELLUS.