CRITIQUES DE LIVRES

RECORD A L'HIMALAYA

L'AVENTURE EST SUR LES CIMES

 

 

RECORD A L'HIMALAYA

par Raymond Lambert et Claude Kogan.

France Empire, Paris.

L'AVENTURE EST SUR LES CIMES

par Edmund Hillary

Amiot-Dumont, Paris

(Revue " La Montagne" - No 5, 1955)

 

Les entreprises himalayennes présentent toutes un double caractère d'exploration et de conquête, mais bien rares sont celles qui, comme l'expédition de l'Annapurna, triomphent également sur les deux tableaux ; très généralement au contraire l'un des caractères prédomine largement et donne le ton général de l'affaire.

Les deux ouvrages présentés ici illustrent parfaitement la chose : malgré son titre, "Record à l'Himalaya" est essentiellement un ouvrage d'exploration et si "L'Aventure est sur les Cimes" mêle agréablement les deux aspects, c'est qu'étant l'histoire d'un homme et d'une montagne, elle résume pour nous l'essentiel de trois ou quatre expéditions successives.., mais précisons tout cela.

L'ouvrage de Lambert et Kogan est l'histoire d'une réussite géographique (la reconnaissance des approches et de la structure du massif du Gaurisankar et d'un échec alpin (au Cho Oyu), échec dont les causes furent variées, mais dont certaines paraissent nettement mettre en cause les conceptions himalayennes de certains des participants. Cela nous vaut quelques pages fort bien venues de Lambert sur la technique et l'idéalisme passionnel dans l'Himalayisme, pages qui, avec l'émouvant chapitre consacré à la tentative sans espoir vers le sommet, sont les meilleures du livre.

Pour le reste, il s'agit surtout des habituelles descriptions de marches dans les vallées, de passages de cols ou de discussions avec les porteurs qui sont la monnaie courante de semblables entreprises... toutes choses qui peuvent intéresser le grand public, mais retiennent moins l'attention de beaucoup d'alpinistes blasés par la multitude de textes analogues parus ces dernières années.

Beaucoup plus complet, car il présente en un tout harmonieux l'histoire d'un homme, celle aussi de la reconnaissance et de l'exploration du "sommet des sommets", est le livre d'Hillary.

Bien composé, il passe rapidement, mais sans oublier rien d'essentiel, sur tous les préliminaires et aborde vite le sujet principal : l'Everest. Ainsi nous suivons pas à pas l'histoire du versant sud vue par les alpinistes britanniques, l'expédition Shipton 51 d'abord, la déception de se voir coiffé par les Suisses en 1952, année où, comme des âmes en peine, les Anglais viennent rôder alentour et parmi eux Hillary qui, franchissant le Nup La et passant près de Rongbuk pour atteindre enfin le pied du col Nord, vient retremper sa détermination dans les sites qui ont vu les exploits des grands anciens de l'Everest... C'est enfin l'expédition victorieuse dont le récit occupe la moitié du livre.

Récit combien humain et vivant et qui est le nécessaire complément du livre de Hunt, admirable de précision, mais beaucoup trop technique à mon goût.

Ici au contraire rien de tel et l'auteur ne vise pas à être complet. C'est l'expédition vécue par un participant qui dit ce qu'il a fait, qui nous fait partager ses sentiments et laisse même à l'occasion passer des erreurs de détail (cf. p. 149 et 208 où une même différence de niveau évaluée à plusieurs centaines de mètres se réduit à 60 mètres.., mais n'est-ce pas une faute du traducteur ?). Le résultat est un récit très vivant et attachant, le premier à mon sens qui fasse revivre l'aventure au-dessus du col Sud, qu'il s'agisse de la tentative Bourdillon-Evans arrêtée au pic Sud ou de l'assaut final.

Ce que Hunt nous faisait comprendre, nous le sentons physiquement : la chance d'avoir eu durant deux jours un temps idéal succédant à la tempête, le rôle essentiel de détails en apparence secondaires, l'extraordinaire et héroïque lucidité d'Evans et Bourdillon redescendant épuisés, mais ayant laissé très haut leurs bouteilles d'oxygène sans lesquelles Hillary et Tenzing n'auraient pu aller jusqu'au bout.

Tout cela simplement dit et fortement senti.., un beau livre.

Louis NELTNER