CRITIQUES DE LIVRES

CE BEL ÉTÉ

 

 

par Heinrich Klier.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne" - No 8, 1956)

 

Alors qu'il est si facile de faire de la mauvaise littérature avec de bons sentiments, je crois malaisé d'être à la fois alpiniste et romancier, de plaire à ses pairs comme technicien, au public comme vulgarisateur et à quelques-uns comme écrivain. Mais viennent ensemble chance, talent et courage et il nous reste un très bon livre comme celui-ci.

" Klier, né en 1926 à Zirl, docteur en philosophie... quelques premières dans les Alpes orientales, vingt-six sommets de 4000 dans les Alpes occidentales, un 6000 et plusieurs 5000 dans la Cordillère Huayhuash.. - essayiste, auteur dramatique à succès.., a publié trois romans.. -", tel est présenté l'auteur par son éditeur français. Donc un montagnard, mais un "honnête homme", demeuré indépendant en un monde rétréci, et il va prendre ses héros parmi les jeunes hommes qui veulent confusément rester libres. Descendant aussi des anciennes générations de l'alpinisme allemand par des formes de pensée et certaines résurgences de forces vives, avec ce qu'il faut désormais de mesure, il écrit un roman où la montagne est à sa vraie place avec une grande justesse d'analyse et d'expression, qui est au lecteur français une fenêtre sur l'air de notre temps, un document.

Voici Innsbruck, la ville de l'auteur, une cité dont il perçoit les moindres pulsations. La chaleur de l'été, un amour, Hans et Hella, mais auquel il manque encore de savoir qu'il peut se suffire à lui même et, plus haut, aux bords de l'Achen See et des Karwendels bleus, la ferme Schreiber où s'ennuie Benedikt. Dans les deux garçons, à des degrés différents, le mal de la jeunesse des civilisations en déclin, le rêve d'une autre existence, la recherche de ce que Klier appelle "l'objectivité", formule noble de l'objection de conscience devant la vie de tous les jours. A l'ouest, sont les grandes Alpes, promesse de cet "autre chose", les hautes faces, gage de la liberté. Et tout lien brisé, tout amour rejeté, une parmi les autres, une grosse moto roule lourdement chargée, vers cette aventure, qui, pour tout grimpeur allemand, est un peu aux frontières de son univers, au bout de la route de poussière, de neiges et de ciels qui s'achève en Valais. Zinalrothorn face est, Matterhorn face nord où meurt Benedikt de la mort d'Haringer aux Jorasses. Échec dans la recherche de 1'"objectivité", des cols, des routes, le retour solitaire d'un Hans un peu vieilli dans la fin de ce bel été, sa propre fin; il retrouvera Hella. Bienveillant romancier...

Mais désabusé aussi. En épilogue, la vie dont on rêve de s'évader à vingt ans a repris. C'est le soir d'un autre été à Innsbruck, le foehn avec son grand appel de la nature, ce sens païen qui remonte en l'homme. Les grenouilles crient... "Pourquoi diable les grenouilles coassent elles ainsi ? Peut-être rêvent-elles de quitter leur marais et leur vase ? répondit Hans Hochbauer. Peut-être ont-elles vraiment envie de s'évader..." Mot clé du personnage et du roman dont le meilleur titre eut été l'exacte traduction du titre allemand. "Ce bel été", non, plutôt "Un été gâché". Une envie de s'évader, un accident au Cervin. Un été pour rien, "Verlorener Sommer".

Georges LOYER.