CRITIQUES DE LIVRES

CIMES ET VISAGES DU HAUT DAUPHINE

 

 

par Félix Germain.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne" - No 3, 1955)

 

Voici le meilleur livre de montagne de 1a collection "Belles pages, belles couleurs". Et sans doute bien plus.

Dans la classique composition : introduction - illustrations - commentaires, il y a ici autre chose, et une fois admis qu'il s'agit d'un livre d'images, on le lit plutôt qu'on ne le regarde. On ne dissocie jamais le texte des illustrations, ils sont inséparables et là est d'abord le mérite de Germain, technicien du livre. Ayant écrit un long, un brillant, un séduisant essai, il y a introduit avec beaucoup d'astuces d'admirables photos, puis intarissable, a fait de leurs commentaires, non le catalogue que l'on sait, mais le meilleur mélange de poésies, de musique et de son propre lyrisme. Et le respect du lecteur le pousse à lui donner en encart final un dépliant photographique. Non seulement il le choye, mais il le gâte.

Mais il lui est d'antres mérites que ceux de l'éditeur. Et l'essentiel, celui que je place le plus haut, n'est-il pas d'être demeuré si classique ? quelle joie de voir l'alpinisme relié avec tant d'impudeur au meilleur hellénisme, avec tant de coeur et avec tant de justesse. Le dirai-je ? quelquefois, au profond d'un de ces désespoirs qui naissent un jour en montagne, j'ai ressenti ce doute : est-cc donc compatible avec la pensée qui nous a formés, tant de siècles de civilisation classique qui pèsent sur nous peuvent-ils aboutir à pareilles stupidités? Mais, Germain, par votre sourire païen, enfin vous nous rendez nos Grecs, et placer Pan au coeur d'une activité qui devant les profanes, prend toujours davantage la figure d'un sport ou d'une technique, ce n'est pas boutade de professeur. Et quant à établir notre filiation légitime hors des morales, des justifications et des philosophies où on a voulu nous enfermer, je n'y vois pas le regret stérile de l'helléniste dépassé par les nouvelles formes de pensée. J'y sais la justification mythique du retour à la nature, du vrai retour à la Nature, aussi loin des stupides bergeries du 18e siècle que des divagations romantiques. Samivel nous en avait déjà parlé et son "Cimes et merveilles" est bien proche de ce "Cimes et visages". Mais il y a chez lui un souci de généralisation, la recherche d'un système, l'esprit d'une philosophie, le besoin d'un ordre harmonieux, et chez Germain une sensibilité volontairement plus violente. Et j'entends en son livre comme la plainte passionnée d'un grand coeur farouchement demeuré classique.

C'est un grand physicien moderne, je crois, l'un des créateurs désabusés des techniques de demain qui tueront les Dieux, qui disait récemment "je ne sais pas si nous pourrons garder les jardins de nos villages et si les sentiers capricieux pourront survivre dans un monde à la croissance frénétique". Et il ajouta "je pense que si l'homme perd les jardins et les sentiers, c'est lui-même qu'il perdra...".

C'est cette phrase que je mets en exergue à votre livre, Germain, le vent tombe, et nous prenons déjà le large de Paxos. .

Georges LOYER.