CRITIQUES DE LIVRES

DU MONT BLANC A L'HIMALAYA

 

 

par Gaston Rébuffat.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne" - No 3, 1955)

 

Notre ami Rébuffat a suivi, dans la littérature alpine, le chemin que devrait emprunter toujours celui qui veut connaître la haute montagne. Il n'a pas voulu commencer par un ouvrage exceptionnel; ayant été apprenti montagnard, il a eu la modestie d'être d'abord apprenti littérateur. Parti de simples notes techniques, il s'est élevé peu à peu à l'analyse la plus subtile de l'imbroglio des sensations contradictoires nées dans l'âme de l'alpiniste, de la beauté des sites, de la difficulté des ascensions, de la discipline qu'elles exigent et des risques qu'elles font courir. Mais chacun de ses ouvrages, comme chacune de ses campagnes alpines, a marqué un progrès dans la conception et dans le style, pour arriver à ce dernier livre, tout proche de la perfection.

Par une technique voisine de celle du cinéma, notre conteur a su parfaitement allier le commentaire écrit à l'image. Le choix des documents révèle ce que Rébuffat aime en haute montagne, et notre joie est profonde de voir ce grimpeur exceptionnel admirer aussi cette lumière déposée en notre âme par les souvenirs d'altitude.

Je pense que Saint-Exupéry eut été heureux de compter des disciples parmi nous. Dans ce livre, son influence est visible, et, comme il arrive souvent, d'une identité de pensée, naît une similitude dans le style. Saint-Exupéry, qui ne pouvait vivre sans l'action dangereuse, mais qui aimait la vie, est sans doute le premier qui ait su dépêtrer des contradictions où le menait cet impératif. Rébuffat prend une attitude identique et fait sien le "Nous n'aimons pas le danger, mais la vie" de l'auteur de "Terre des Hommes". Ainsi que Lucicn Devies le fait justement remarquer dans son excellente préface, la mort est absente du livre. Il y a naturellement quelque chose d'un peu artificiel dans cette position. Nous savons que nous mourrons, mais ne le croyons pas. C'est l'état d'esprit normal des hommes d'action, et ceux qui se délectent dans la peur ont certainement d'autres mobiles.

A travers les récits de courses et les tableaux d'altitude, l'intérêt se soutient d'un bout à l'autre. Les photographies sont des merveilles. Elles montrent à quelle qualité atteignait Vittorio Sella dès le début du siècle. Depuis, malgré tous les progrès techniques, on a fait aussi bien, mais pas mieux. Enfin, Arthaud, qui a créé ce genre d'ouvrages, arrive ici à une perfection qui ne laisse prise à aucune critique.