CRITIQUES DE LIVRES

GEIGER, PILOTE DES GLACIERS

 

 

par André Guex.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne" - No 4, 1955)

 

Le remarquable pilote Suisse H. Geiger, en collaboration avec l'écrivain André Guex qui fut bien souvent son passager, vient de publier le livre que tous ses amis attendaient : "Pilote des glaciers".

C'est vraiment un livre étonnant. Il y expose la progression de ses vols en montagne depuis l'initiation jusqu'aux atterrissages extraordinaires qu'il a réalisés sur des pentes de neige en haute montagne. On n'aurait jamais osé les concevoir avant lui jusque-là, seuls les oiseaux se posaient là où il atterrit. Cc livre fera date en matière d'alpinisme aérien, comme celui de Marcel Kurz en matière d'alpinisme hivernal.

Geiger, chef pilote du si sympathique Aéro-club de Sion, aidé et encouragé par son président, M. René Spahr, a équipé son Piper Super Cub 135 CV de deux dispositifs très originaux qu'il a lui-même conçus et réalisés : des skis rétractables, dont la position est commandée par le pilote qui peut ainsi poser l'avion indifféremment sur la neige ou sur le sol, et une installation de largage très ingénieuse et bien au point pouvant contenir environ 200 kg de matériel. Aux commandes de son robuste petit avion, Geiger allait ouvrir â l'aviation un domaine jusque-là interdit. Commençant par des largages, il continua par des atterrissages sur des glaciers relativement plats, puis donna toute la mesure de sa virtuosité par des atterrissages sur des pentes allant jusqu'à 40°.

On ne peut rien lire de plus passionnant que le récit de quelques-uns des trois mille atterrissages qu'il a accomplis en haute montagne, dans des conditions parfois très dures. L'atmosphère qui baigne les montagnes - les alpinistes le savent bien - est un fluide vivant, mouvant comme la mer, aux surprises soudaines, aux colères inexorables. Le pilote n'a pas seulement à lutter contre les éléments parfois très violents, il doit aussi juger en vol si l'état de la neige permet ou non l'atterrissage. Seul un pilote montagnard peut le taire. Il faut comprendre à quel point cette décision est grave : une fois prise, elle est irrévocable, les conditions du sol sont telles que le pilote engagé ne peut plus renoncer et faire demi-tour.

Les alpinistes apprécieront les immenses services rendus par Geiger qui collabore à la construction des refuges, les ravitaille, transporte des passagers, vole au secours des blessés et sauve des vies humaines. Son dévouement a conduit maintes fois cet homme généreux à enfreindre les limites de prudence qu'il s' impose normalement.

Il faut admirer le ton mesuré du livre et le talent du narrateur André Guex sans se laisser abuser par la sobriété du style : tout l'héroïsme caché sous tant de simplicité apparaît encore plus émouvant. Mais pour une personnalité comme celle de Geiger, 1' "understatement" est de rigueur. Le livre se lit comme un roman, des photographies étonnantes et très belles aident le lecteur à participer à l'aventure, et la dernière page se tourne trop tôt.

L'oeuvre humaine de Geiger commande le respect : l'application finale de l'intelligence et de la maîtrise est bien, pour les hommes de coeur, la participation à la peine et à la souffrance de ceux qui pourraient désespérer.

Albert ARNAUD


par André Guex

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 66, Février1968)

Cette nouvelle édition complète une oeuvre unique en son genre. On y retrouve, avec d'admirables photos, la naissance d'une vocation , l'apprentissage d'un pilote qui, en mai 1952, réalise son premier atterrissage sur glacier, et la recherche d'une méthode qui "un jour sera suffisamment mise au point et codifiée pour devenir l'objet d'un enseignement systématique". La seconde partie, inédite, retrace la progression de sa technique, ses premiers remorquages "en vol" d'avions accidentés, des sauvetages, aventures partagées avec un grand et fin pilote, son ami Martignoni.

Et puis, un jour, le 26 août 1966, le cercle se ferme : après avoir décollé, Geiger se tuera au dessus du terrain de Sion, à l'endroit où, environ 36 ans plus tôt, il effectuait son premier vol...

Ceux qui ont volé avec lui se souviendront toujours de cet émerveillement qu'il avait d'atterrir sur un glacier, de fouler la neige, de regarder autour de lui, de son bonheur de voir partager son amour du ciel et de la montagne, de cette confiance, non dénuée de risques, mais si encourageante, qu'il témoignait à son élève en le laissant voler et se poser seul dans l'OPU son avion rouge tout neuf, pendant qu'il restait stoïquement au sol, pour permettre au pilote cette joie irremplaçable des premiers vols sans moniteur. La technique évoluera, mais l'oeuvre de Geiger restera, car il a osé faire systématiquement, le premier, ce qui pour ses prédécesseurs n'étaient que de magnifiques exploits sans lendemain.

Tous doivent lire ce nouveau Pilote des Glaciers : ceux qui ont déjà le premier recueil, pour le compléter ; ceux qui ne l'ont pas, pour suivre l'aventure d'un homme qui fut exceptionnel ; ceux qui pratiquent l'alpinisme et n'apprécient pas l'aviation, pour leur rappeler que, s'ils se blessent, ils auront le réconfort de voir apparaître un pilote tombé du ciel pour les redescendre dans la vallée ; ceux qui aiment la montagne ou le ciel, ou les deux, pour connaître un aviateur montagnard qui sut concilier la terre et les nuages, le service des hommes et celui des bêtes ; et ceux qui n'aiment rien pour leur apprendre à aimer quelque chose enfin.

Jacqueline MAILLARD.