CRITIQUES DE LIVRES

SEUL VERS L'EVEREST

 

 

par Earl Denman.

R. Laffont, Paris.

(Revue " La Montagne" - No 6, 1956)

 

Le combat pour l'Everest a eu ses francs-tireurs, et l'ouvrage de Denman pour n'avoir que de lointains rapports avec l'alpinisme n'en est pas moins fort attachant. Sincère et pleine de fraîcheur, c'est l'éternelle et toujours actuelle histoire du rêve aux prises avec la réalité... En voici les traits essentiels.

Ayant dès sa jeunesse entendu l'appel de l'aventure, l'auteur s'installe au Soudan et, dans ces collines désertiques, rêve de montagnes sans trop établir entre elles d'échelles de valeur autre que l'altitude... L'Everest. Pourquoi pas? Mais n'est-ce pas une folie ? D'où la nécessité d'un test ou d'une épreuve d'initiation si l'on préfère... Des sommets peu connus et auréolés de mystère sont là, au coeur du continent, les "Montagnes de la Lune" des Anciens.

Et, au lendemain de la guerre, Denman enfin démobilisé en Afrique du Sud, entreprend et réussit en un mois ses "8 travaux", je veux dire l'ascension des 8 sommets volcaniques, hauts de 3000 à 4500 m de la région du Kivu. Un seul, le Mikeno, paraît avoir présenté quelques difficultés dues surtout aux mousses fragiles et glissantes qui recouvrent certains escarpements ; d'autres, comme le Nyragongo, sont de simples marches et se font (j'en parle d'expérience) aisément dans la journée par des pistes forestières et un pénible cône d'éboulis.

Tout cela évidemment n'a rien à voir avec les ascensions himalayennes, et pourtant c'est avec ce seul bagage alpin que Denman part pour Darjeeling où sa passion trouve un écho dans l'âme de Tenzing.

Les voilà donc en route pour Rongbuk... Le reste était facile à prévoir : les longues tribulations sur les routes interdites du Tibet, la remontée du glacier couvert de blocs jusqu'au pied du col Nord où se révèle seulement l'ampleur insoupçonnée du problème. C'est ensuite le triste retour, la descente sur terre dans la dure réalité après l'envol éthéré dans le rêve..., puis l'amertume des lendemains qui voient le triomphe de l'organisation.

Folle aux yeux de la logique, cette aventure d'un homme seul force la sympathie, et en fermant le livre, nous nous prenons à regretter que l'impossible n'ait pas été réussi .

Louis NELTNER.