CRITIQUES DE LIVRES

LE MONT-AIGUILLE ET SON DOUBLE

par Philippe BOURDEAU, E. DECAMP, J.-O. MAJASTRE et O. VIZIOZ

(Ed. des Presses Universitaires de Grenoble, 1992)
(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 3, 1992)

Un autre ouvrage sur le Mont sort lui aussi des sentiers battus de la littérature alpine classique, mais pour de toutes autres raisons. Loin des commémorations et des discours officiels, les auteurs ont voulu prendre du recul. A quoi bon écrire une énième histoire de l'alpinisme lue à travers l'histoire du Mont­Aiguille ? A quoi bon rappeler une fois encore des anecdotes archi-connues ? Voilà le lecteur entraîné ailleurs, dans des lieux que la littérature alpine, habituellement, ne fréquente guère. Ouvrage vaguement iconoclaste qui voit d'abord dans le sommet « un vulgaire tas de cailloux sur le chemin de la ruine », Le Mont-Aiguille et son double est un patchwork, une oeuvre de fantaisie à plusieurs voix (voies ?).


II s'ouvre sur les joyeuses digressions de deux compères , qui se livrent des réflexions à bâtons rompus sur le sexe du Mont, son nom même, ses apparences, sa symbolique ou encore (l'argument est toujours actuel) sur le Mont-Aiguille, lieu de mise en scène... Attention les idées fusent dans tous les sens, l'exercice intellectuel est éblouissant... mais il peut donner le vertige. On risque de s'interroger sur quelques envolées, mais le préfacier Roger Canac l'avait écrit : ce livre est « idée insolite, formule mystérieuse pour ne pas dire hermétique... vagabondage idéal, divagation ou délire ».

.Plus classique dans son langage, la contribution de Philippe Bourdeau réussit cependant un exploit : dire quelque chose de nouveau à propos du Mont­Aiguille et déboucher sur une réflexion globale sur les usages sportifs de la montagne, sur la notion même de nature, sur l'évolution des pratiques sportives. Le spectre d'un « montagne-club » (on ne vous dit pas lequel) où on consommerait des activités sportives indifférenciées sous la houlette de gentils animateurs peut apparaître comme une fiction de mauvais goût. On peut craindre hélas que ce ne soit pas le cas...

Quant à O. Vizioz, ne le cherchez pas dans le gotha de l'alpinisme moderne : son texte date de 1895. C'est une monographie - assez complète pour l'époque - du Mont (apparemment dédaignée par cet atrabilaire de W.A.B. Coolidge), agrémentée de souvenirs personnels d'ascension. Comme l'auteur ne semble guère se prendre au sérieux et qu'il n'est pas dénué d'humour pince-sans-rire, son texte ne détonne absolument pas dans cet ouvrage.

Relevons au passage que celui-ci participe à sa façon à un anniversaire : c'est le 500e titre publié par les Editions des Presses universitaires de Grenoble. Le moins sérieux ? En apparence seulement... Comme le rappelle fort sagement R. Canac, quand nous parlons de montagne, nous sommes « renvoyés à nous­mêmes, à nos songes avec leurs paradis perdus et leurs jardins secrets ». Pas sérieux le paradis perdu ?


J.-P. Z..

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