CRITIQUES DE LIVRES

LES AIGUILLES DE CHAMONIX

 

 

par Henri Isselin

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 35, 1961)

Dominant la vallée de Chamonix depuis des millénaires mais entrées depuis moins de deux siècles dans l'histoire alpine, « Les Aiguilles », paradis des grimpeurs ont fait l'objet d'une énorme littérature et l'on pouvait à bon droit se demander s'il était encore
possible d'y découvrir un itinéraire nouveau ou d'écrire à leur sujet quelque chose de neuf.

Les « sexto-gradistes » diront ce qu'il faut penser de la première question, mais à la seconde, Isselin vient de donner une réponse fort pertinente : dans l'énorme masse des articles et documents il a su faire un choix, et son anthologie historique, géographique et sportive, agrémentée d'un brin de psychologie et philosophie, se lit avec intérêt et agrément. Un style simple et clair, d'excellentes illustrations et deux cartes le rendent accessible et agréable à ceux même qui sont peu familiarisés avec « Les Aiguilles ».

De Malczewski, premier vainqueur de l'aiguille du Midi, aux foules qu'y déverse le téléphérique ou aux champions de l'escalade artificielle, que de changements !... toute une évolution que jalonne les grands noms de l'alpinisme amateurs ou guides.

Tout cela est conté de façon alerte et par delà leurs actions nous voyons se dessiner les caractères des protagonistes : Mummery, le gentleman alpin, qui aime la montagne, toute la montagne, et, plus près de nous, son fils spirituel J. de Lépiney, Ryan l'orgueilleux solitaire, Fontaine l'incompris, Lochmatter le guide gentilhomme, « Petit J » Knubel, modeste et valeureux, Venetz, l'exécutant dévoué et fidèle dans l'ombre de Burgener.

Tous revivent devant nous et avec eux, par eux, revivent aussi ces cimes tantôt sereines et amies, tantôt redoutables et hostiles, selon les caprices de la saison.

Par eux, et avec eux aussi, se dessine l'évolution de l'alpinisme. Exploration timide d'abord, puis de plus en plus audacieuse à mesure que le mystère disparaît, et qui aboutit finalement à la vogue touristique et à l'implacable progression de la technique pure qui, peu à peu, tend à refouler l'humain dans tous les domaines et à réduire l'ancien montagnard à n'être plus qu'une « machine à grimper » !

Dans ce bouleversement des valeurs, dans cette évolution où le recul des glaciers modifie même le visage de la montagne, un seul élément montre une constance remarquable : certaine préoccupation des gens de la vallée, déjà parfaitement exprimée en 1815 dans une lettre du Conseil Municipal relative à l'équipement du Montenvers : « Notre vallée en retirera un grand avantage en ce qu'il attirera une foule de curieux de toute la terre qui feront de la dépense »...

Beaux sujets de méditation esquissés dans le dernier chapitre et dont chacun, selon son tempérament, tirera ses conclusions personnelles.

Louis NELTNER