CRITIQUES DE LIVRES

LES ALPES, de la Grande Chartreuse à Chamonix

par Alexandre DUMAS

(Ed. Encré, Paris. 1980)

UN MOIS DANS LES ALPES, de Genève à Nice

par Albert DAUZAT

(Libr. Guénégaud, Paris. 1980)

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 120, 1980)

 

Tout le monde le sait, les Alpes ne changent de visage qu'à l'échelle des temps géologiques et on se demande bien quel anniversaire le Club Alpin fêtera quand le Mont Blanc et les Ecrins feront figure de pénéplaines.

Pourtant, les Alpes, au sein desquelles l'auteur des Trois Mousquetaires et le styliste Dauzat nous entraînent, l'un au coeur du dix-neuvième siècle, l'autre après la tourmente de la Première Guerre mondiale, sont tellement différentes de celles que nous fréquentons si assidûment que nous les soupçonnons d'abord de les avoir trahies.

 

Serait-ce parce qu'un écrivain est victime de sa subjectivité ? De la part d'un romantique - Dumas en était un - ce serait très compréhensible. Et il est vrai que notre homme ne rechigne pas à dramatiser pour obtenir son effet. C'est le cas quand il parle par exemple du col de Balme. Quant à Dauzat, sa seule évocation d'une traversée de la Mer de Glace ou des morts provoqués par le Salève nous rendrait, à juste titre, méfiants.

Mais en contrepartie, il faut se souvenir que Dumas, une force de la nature, maniait familièrement le rucksack et l'alpenstock et que Dauzat décrit certains paysages alpins avec l'oeil du photographe. Ainsi, la Grande Casse, comparée à un énorme cimier anguleux, bosselé, matelassé de neige. Et l'on n'a pas tort non plus de noter qu'aux descriptions du parcours suivi par Dumas, on reconnaît le tracé du G R 51.

Ce qui change profondément, en revanche, ce sont les rapports entre la montagne et l'homme. Six guides conseillés à Dumas pour aller au Saint-Bernard, un guide nécessaire, selon Dauzat, pour s'aventurer sur la Mer de Glace, sans omettre cette sorte de respect sacré que témoigne ce dernier à l'égard des alpinistes, entre autres : "ces bataillons de jeunes et ardentes recrues du Club Alpin". Et les refuges ? Ils sont le témoin de luttes épiques pour la maîtrise d'un matelas quand ce n'est pas d'une homérique bataille de polochons.

Le Chamonix de Dauzat semble avoir pour centre d'intérêt les pâtisseries. De La Grave, futur Zermatt, on retient un équipement minable : deux hôtels et une guinguette.

Mais le plus étonnant, c'est l'entrevue entre Balmat - Monsieur Mont Blanc - et Dumas. Aujourd'hui, qui interviewerait Desmaison ou Jaeger se sentirait l'obligé, tandis que Balmat se fait toute humilité. II lui faut avaler trois bouteilles pour venir à bout de ses glorieuses confidences !

Allons, il faut bien l'admettre, ces tableaux périmés, ils nous émeuvent comme les premières chansons de Piaf ou les débuts de Ray Ventura attendrissent J.-Ci. Averty. Mode du rétro ? Ne serait-ce pas plutôt parce que, jaugeant la montagne selon des critères purement techniques, nous savourons avec nostalgie la naïveté de nos devanciers et cette sorte d'effroi sacré que leur inspiraient les cimes et les glaciers

Marius COTE COLISSON.

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