CRITIQUES DE LIVRES

Joseph, Georges I, Georges II et Pierre TERRAZ
LES ALPES DE PÈRE en FILS

Par Olivier MONTALBA

( Hoëbeke Octobre 2010 )

 

"L'esprit Tairraz, c'était de garder trois ou quatre photographies par an, pas plus". Propos de Mario Colonel - que beaucoup considèrent comme l'héritier spirituel des Tairraz. Il faut dire que Joseph Tairraz, le patriarche (1827 - 1902), devait se déplacer avec environ 250 kg de matériel, pour prendre des photos (appareil, trépied, chassis de verre, produits chimiques, et enfin une tente étanche à la lumière) : on comprend qu'il se soit plus consacré à la photo en studio - mais cela ne l'a pas empêché de prendre les premières photos du sommet du Mont Blanc.

Emouvantes, et fort instructives, ces images fort anciennes : on y lit la fierté des premiers ascensionistes, leur témérité aussi.

Son fils Georges "I" (1868 - 1924) bénéficie des avancées de la technique : son appareil ne pèse plus que 12 kg (plus 8 kg pour l'objectif, tout de même), et lui permet de réaliser des images au format 50 x 60 cm (l'agrandisseur n'existait pas encore...) : il peut sortir du studio, et parcourir tout le massif. Ses images de personnages sont encore un peu "posées" : la technique est encore bien jeune. (un seule petit regret : que l'auteur n'ait pas souligné quelques détails des clichés, comme l'a si bien fait Yves Ballu dans "Montagnes")

Georges "II" (1900 - 1975) peut se consacrer entièrement à la photographie en montagne : le format 24 x 36 a été inventé, et les grandes vitesses d'obturation deviennent possibles, fixant le mouvement des skieurs. Un champ nouveau s'ouvre bientôt à lui : le cinéma ! Roger Frison-Roche et Gaston Rébuffat sont ses amis - et souvent ses acteurs.

Pierre, le dernier de la lignée (1933 - 2000) hérite de l'esprit familial, et ne renie pas la photographie : ses images ont la rigueur et l'harmonie de celles de ses ancêtres. Il se consacre de plus en plus au cinéma, en participant à des expéditions lointaines, dont il rapporte de nombreux films diffusés dans le cadre des conférences de "Connaissance du Monde".

Cet esprit familial, Mario Colonel le décrit aussi en ces mots : "Jamais, dans ses photos, il n'a essayé de mettre l'homme en avant. Ces petits personnages dans la lumière d'altitude, c'est une échelle d'humilité". Il est vrai que Pierre Tairraz était accompagné d'amis guides, à qui il demandait de se placer stratégiquement dans le paysage, et d'attendre que la lumière soit favorable... Pierre Tairraz, comme son père et son grand-père, photographiait la montagne, en choisissant très soigneusement le cadrage et la lumière. Les petites silhouettes des hommes ne sont présentes que pour donner l'échelle - et sans doute aussi pour permettre au spectateur de s'imaginer être à la place du sujet...

Les progrès de la technique, la miniaturisation des appareils numériques, devraient permettre au photographe d'aujourd'hui de s'inspirer de ces modêles en étant libéré des contraintes matérielles. Denis Ducroz dit de Pierre Tairraz : "Il plaçait un homme fragile et un peu ébloui au milieu d'une montagne qu'il voulait magnifique, oui, des personnages minuscules dans des paysages grandioses. Aujourd'hui, on nous montre des muscles grandioses dans des paysages qui disparaissent".

Espérons que ce livre splendide, et les photographies superbes qui l'illustrent, donneront à réfléchir à certains de ceux qui mitraillent avec leur "Point and Shoot" ou leur téléphone portable, et leur rappeleront que l'homme a beaucoup de chance de pouvoir accéder à ce domaine, et qu'il ne "vaincra" jamais les montagnes...


Daniel MASSE .

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