CRITIQUES DE LIVRES

L'ALPINISME

par Patrice de Bellefon.

Ed. Denoël, Paris 1977.

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°1 - 1978)

 

Avec l'Alpinisme de Patrice de Bellefon, on est en présence d'un livre sur la technique de l'alpinisme très classique dans sa présentation comme dans sa construction, mais les propos de l'auteur nous font vite comprendre, dès les premières lignes, qu'il va au delà des apparences et c'est là la grande richesse de l'ouvrage.

Patrice de Bellefon est pyrénéen, guide professionnel, passionné et amoureux de la montagne, c'est-à-dire qu'il pratique l'alpinisme avec générosité et sérieux et parcourt les montagnes avec passion et amour. Le message qu'il nous délivre tout au long des pages de son livre va bien au delà d'un répertoire et d'une synthèse de la technique, du matériel et de la connaissance de la montagne, il est le fruit d'un homme qui a atteint la sagesse après avoir goûté à tous les fruits et rejeté tous ceux qui lui semblaient amers "... pour connaître tous les visages de l'alpinisme, j'ai essayé de goûter à tous les styles d'ascension pour satisfaire ma curiosité passionnée, j'ai parcouru sans goût des itinéraires où l'on se hisse grâce à une suite ininterrompue de pitons à expansion, j'ai savouré sans foi les plaisirs de l'alpinisme solitaire", et plus loin, de Bellefon écrit la justification de son éthique que je n'hésite pas à faire mienne : "Il est temps d'établir une distinction sans équivoque entre une activité qui nourrit l'esprit et réjouit le coeur et une gymnastique qui développe les muscles et aiguise l'audace".

 

 

Cette profession de foi est écrite dans le chapitre 8: "connaissance de l'alpinisme" et c'est dommage; je conseille donc au lecteur de commencer le livre par ce chapitre car alors tous les autres prennent une résonnance particulière.

Au travers de cet ouvrage, il doit être mieux compris par les alpinistes et par ceux dont la fonction est de s'occuper de sport qu'il existe une différence fondamentale entre un "sport de stade" et l'alpinisme et que les tentatives de récupération seront vouées à l'échec si les alpinistes ne tombent pas dans les pièges tendus deci delà; de Bellefon nous le dit d'ailleurs sans ambage dans son avant propos : "l'alpinisme serait seulement une technique et la montagne un terrain de sport vertical, je n'aurais sûrement pas souhaité écrire ce livre" .

Enseigner la montagne et non pas seulement enseigner la technique de l'alpinisme est donc la démarche de l'auteur. Le souci pédagogique est constant tout au long du livre, mais j'émettrais quelques réserves pour ce qui concerne les moyens employés. Certes, le texte est de qualité mais l'abus est souvent générateur du contraire de ce qui est recherché et l'idée cent fois émise qu'un bon dessin vaut mieux que de longues explications a été quelquefois oubliée. Heureusement et ceci peut compenser cela, l'auteur, dont l'alpinisme court à fleur de peau, nous dispense tout au long du "chapitre technique" les conseils les plus judicieux, fruits d'une expérience amassée au cours de plus de vingt années d'alpinisme responsable et sans lesquels, les descriptions techniques ne seraient qu'une insipide énumération.

Il y a aussi bien sûr des imperfections et des omissions. Je ne citerai que pour exemple le développement beaucoup trop succinct de la technique de progression en neige et les encordements sur glacier.

L'auteur a également pris le parti d'ignorer certaines matières plus scientifiques telles que géologie, géographie, physiologie, secourisme, diététique, etc. II en résulte que certains ne trouveront pas dans ce livre ce qu'ils seraient en droit d'en attendre, à savoir un document de référence, je pense en particulier à tous ceux qui ont une charge d'enseignement, guides, instructeurs bénévoles, etc. Cela me semble dommage, l'auteur avait les moyens de mener cette tâche à bien.

II sera peut être agaçant aussi pour le lecteur de lire fréquemment que l'auteur, qui se réfère constamment à son expérience vécue, a mieux que d'autres déjoué les pièges tendus par la montagne, mais qu'il n'en prenne pas ombrage car s'il est vrai que de Bellefon semble laisser entendre qu'il a atteint le stade de la connaissance (ce qui peut paraître présomptueux), il avoue implicitement que lorsqu'il débutait, il était inculte et c'est là une bonne leçon à tirer pour les jeunes "sestogradistes" qui n'ont pas encore compris (parce qu'ils n'y ont pas été contraints par la montagne) que résoudre le problème d'un passage de 6° degré n'est rien en comparaison des solutions à trouver pour vaincre le mauvais temps ou les neiges perfides.

Ce livre au ton très personnel, où l'engagement de l'auteur est permanent, chose peu courante chez les auteurs de manuels d'alpinisme, a un souffle puissant de vie. Il aura probablement autant de défenseurs que de détracteurs, la France n'est-elle pas coupée en deux ? Et de Bellefon en présentant son "bon choix de société" (d'alpiniste) n'a-t-il pas voulu susciter la réflexion ? Toujours est-il qu'il a fait sienne la maxime Rabelaisienne : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".

Maurice GICQUEL.

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