CRITIQUES DE LIVRES

L'AUTRE ANNAPURNA

par Maurice HERZOG

(Ed. Robert Laffont, Paris 1998)
(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 2, 1998)

Ce jour-là, nos camarades Maurice Herzog et Louis Lachenal entraient dans la légende. Mais parfois, la montagne se montre impitoyable face à ses conquérants les plus audacieux. Dès le sommet conquis, les éléments se vengeront et la sanction sera terrible : Maurice Herzog et Louis Lachenal auront les extrémités gelées. Ils devront subir de graves amputations aux mains et aux pieds. Cette réussite exceptionnelle réclamera son lot de souffrances et de larmes, condamnant les deux alpinistes à de longs et douloureux mois d'hôpital.


Si les montagnards connaissent relativement bien la vie de Louis Lachenal grâce à ses Carnets du Vertige, il n'en allait pas de même avec Maurice Herzog. En effet, dans Annapurna 1° 8 000, livre traduit clans le monde entier et vendu à plus de 15 millions d'exemplaires l'auteur se dévoilait très peu. Cet ouvrage, émit il est vrai au nom de ses camarades, se voulait d'abord récit d'expédition, relatant exclusivement les faits de cette dernière. L'Autre Annapurna paru en mars dernier aux éditions Robert Laffont, nous permet de découvrir, près de cinquante ans après l'extraordinaire exploit de l'Annapurna, celui qui est autant un homme de montagne qu'un industriel et une haute personnalité politique.

Lors de la longue descente depuis le sommet jusqu'à Katmandou, la mort rôde. Elle est prête à saisir Maurice Herzog puis l'abandonne. C'est un véritable sentiment de résurrection, profonde et spirituelle, qui l'étreint alors. L'ouvrage nous révèle tout le sens de cette "deuxième naissance", en nous invitant à en vivre les moments les plus forts. D'entrée, Maurice Herzog prévient le lecteur : "Ce livre est un recueil de souvenirs. Pas une biographie". J'ajouterai qu'il ne s'agit pas non plus d'un livre « règlement de comptes » , auquel finalement l'auteur aurait eu droit, si l'on se réfère aux attaques aussi basses qu'injustifiées dont il fut victime, jusque clans les colonnes de notre revue. Non. Plus intelligemment, il s'agit d'une oeuvre de mémoire, un livre du coeur, relatant des passions multiples et des engagements profonds.

D'une façon générale, un récit réclame toujours un grand souci d'exactitude car contrairement au roman où tout peut être inventé, l'écrivain se retrouve confronté en permanence à son propre miroir, aux rails de sa propre existence. L'exercice n'en est que plus périlleux. Avec ce livre à la fois cruel, vif, fort, tendre, généreux et plein d'humour, Maurice Herzog a réussi son pari. L'ouvrage commence donc au sommet de l'Annapurna, avant de glisser, de révélation en confident sur les moments Ies plus intenses d'une vie. Et quelle vie !

D'abord l'enfance, puis l'adolescence tournée vers les hautes études (HEC) et la montagne (déjà) ; la guerre et les actes de résistance dans les Alpes, où l'auteur commande un important groupe de trancs-tireurs ; les grandes courses et les premières dans les Alpes - comme celle du versant nord de l'Aiguille Blanche de Peuterey effectuée en compagnie de son frère Gérard, de G. Rébuffat et L. Terray, avec pour unique nourriture (guerre oblige) des boulettes de pommes de terre bouillies mélangées... â des pâtes ; la reconquête de lui-même, après la difficile épreuve de l'Annapurna, par le biais du milieu industriel ; l'engagement­ à la demande d'André Malraux - auprès du général de Gaulle qui le nomme Haut Commissaire, puis Secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports ;les années passées comme député de Haute-Savoie et maire de Chamonix. Ajoutons à cela les présidences du Club alpin français (1952 à 1955), et du Groupe de haute montagne (1951 à 1956). Notons que Maurice Herzog est également membre de l'Alpine Club et du Comité international olympique.

Le vainqueur du 1°' 8 000 possède aujourd'hui encore deux qualités essentielles qui, conjuguées, font de lui un décideur et un homme d'action. Si l'on ajoute à cela de fortes convictions et l'art de convaincre, nous comprendrons aisément pourquoi en 1950, Lucien Devies et le Comité himalayen ne pouvaient désigner meilleur chef pour l'Annapurna. Pour ma part, j'ai toujours été intimement persuadé que, pour diriger une grande expédition, les seules qualités alpines étaient insuffisantes. Son dernier ouvrage nous en apporte les preuves éclatantes de vérité et de sincérité. II nous offre une découverte à chaque page. II réserve parfois d'intenses moments jubilatoires, que l'on ne s'attend pas forcément à trouver sous la plume d'un ancien ministre. Ainsi ce merveilleux passage plein d'humour érotique, où en pleine guerre, l'auteur rencontre une jolie jeune femme dans un train et.. Non. )e me garderai bien de dévoiler aux futurs lecteurs le contenu de ces pages que n'aurait pas renié Henry Miller.

À le lire j'allais écrire à l'écouter, tant sa narration des faits est proche de celle des authentiques conteurs - le lecteur comprendra mieux quel homme exceptionnel il est à plus d'un litre. « Parce que vous avez beaucoup souffert, vous avez pu renaître » lui dira un jour le Karmapa, une haute sommité bouddhiste. Cette phrase vraie, j'en suis absolument convaincu, accompagnera Maurice Herzog pour toujours. Qui était-il avant l'Annapurna ? Qu'est­il devenu après ?

Nombre de réponses se trouvent à l'intérieur de L'Autre Annapurna, pour notre plus grand bonheur à tous.


Jean-Marie CHOFFAT, secrétaire du G.H.M..

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