CRITIQUES DE LIVRES

L'EQUIPE AU PERE BOURRE

 

 

par Jean LEFRANCOIS

J. B. Arthaud, éditeur, Grenoble

(Revue " La Montagne" - No 294, 1938)

Des souvenirs de chasse, annonce la bande qui entoure ce volume. Bien des gens passeront en souriant, après avoir lu ce sous-titre, et se diront que, depuis Tartarin, tout a été dit sur le chapitre cynégétique... Ils auront tort. La chasse qui est évoquée dans ces pages n'est pas une chasse comme les autres :c'est la chasse aux chamois. Pour la goûter, pour la comprendre, et aussi pour savoir l'évoquer avec la vie et l'émotion nécessaires, il faut d'abord être montagnard, infatigable marcheur, posséder bien chevillés au fond de l'âme le goût du risque autant que l'amour de la chasse, et enfin être né un peu poète.

Cela est si vrai qu'en dépit des nombreuses tentatives faites par des écrivains pour évoquer cette émouvante chose qu'est la chasse aux chamois, pour faire revivre clans les sites appropriés les hommes curieux qui se livrent à cette entreprise audacieuse, pour raconter enfin la vie et les moeurs des bêtes, chiens et chamois, qui sont les principaux héros de cette aventure, il n'y avait guère jusqu'ici qu'un nom qui eût survécu au delà de quelques engouements passagers, c'était celui d'ALPINUS. Tous les amis de la montagne, tous les chasseurs de chamois, tous les lettrés de la région alpine ont dans leur bibliothèque cette admirable Chasse alpestre, qui fut rééditée il y a quelques années par les soins de la Librairie Dardelet, à Grenoble.

Or, voici un livre qui, si étonnant que cela puisse paraître de prime abord, est digne de prendre place dans ces bibliothèques à côté de l'oeuvre jusqu'alors unique d'ALPINUS. Ce livre, c'est L'équipe au père Bourre, c'est le premier essai littéraire d'un fervent Dauphinois, essai qui sera peut être son unique livre, mais qui, en tout cas, suffit à lui seul à classer Jean Lefrançois parmi ceux qui auront su apporter une note personnelle, originale et juste, dans l'immense concert de voix plus ou moins harmonieuses qui ont entrepris depuis quelques années de célébrer la montagne. Sans doute " Le grand barbu " c'est ainsi que Jean LEFRANCOIS se dénomme lui-même a t-il la passion de la chasse, virus terrible contre lequel nul remède n'existe, et que certains hommes apportent avec eux dans le sang en venant au monde. Sans doute, à force de regarder ces montagnes à l'ombre desquelles il a vu le jour, a-t-il été gagné par ce vertige des cimes qui entraîne parfois les plus sages dans de folles équipées. Sans doute, grâce à ces deux éléments, pouvait-il écrire un livre sur les chasseurs de chamois, solidement documenté et d'un incontestable intérêt. Mais cela n'aurait pas suffi pour qu'il pût atteindre à la qualité de l'oeuvre qu'il a réalisée avec L'équipe au père Bourre. Il a fallu pour que ce livre s'élabore, pour que le chasseur abandonne son fusil et l'alpiniste son piolet afin de saisir la plume de l'écrivain, il a fallu qu'il y ait au fond du coeur du " grand barbu " un étrange et puissant amour. Cet amour, c'est celui de sa terre natale, de son pays de glace et de granit où le chamois n'est qu'une manifestation d'une vie spéciale, où la chasse n'est qu'un prétexte enthousiasmant à parcourir les crêtes et les combes, où les gens ne prennent véritablement leur valeur que lorsqu'ils reflètent sur leurs visages, leurs corps et leurs âmes, un peu de ce qui fait l'essentiel d'une race modelée au contact d'un sol sévère et magnifique tout à la fois.

Avec une pudeur qui est le propre de certains coeurs qui connaissent le charme de la solitude, Jean LEFRANÇOIS sait déguiser à maintes reprises son émotion et sa tendresse sous une pointe de " blague " ou d'ironie. Mais nous ne sommes pas dupes, et même lorsqu'il se livre à la caricature des personnages de " l'équipe " , nous sentons qu'il cache dans un éclat de rire une larme qu'a suscitée un excès d'amitié.

C'est cette vibration intérieure qui donne à ce livre son ton véritablement humain et en fait un des hommages les plus purs et les plus émouvants que l'on ait rendus à notre pays dauphinois.

Ajoutons que de savoureux dessins, dus au crayon sarcastique de M. CHRISTOLHOMIME, forment une paraphrase saisissante du texte de Jean LEFRANÇOIS.

Antoine CHOLLIER