CRITIQUES DE LIVRES

BRENVA

 

 

par T. Graham Brown.

Attinger Paris

(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 22, 1959)

On ne se rend généralement pas compte de la grandeur véritable du Mont Blanc. Au milieu des autres 4000, le point culminant des Alpes est en réalité hors "d'échelle". Ses versants est et sud, notamment, entre l'arête du Brouillard et le mont Maudit, ne se laissent pas apercevoir d'assez haut et d'assez près pour que l'on puisse jugez de leurs dimensions véritables. Ceci explique sans doute l'oubli relatif où ils furent laissés jusqu'après la guerre de 1914-1918. D'autres conquêtes beaucoup plus difficiles techniquement furent accomplies bien antérieurement.

Le grand mérite de T. Graham Brown fut de le comprendre le premier et, passant alors à l'action, de réaliser en trois magistrales conquêtes, l'exploration complète de l'immense paroi comprise entre l'éperon classique de la Brenva et l'arête de Peuterey. Et ceci entre 1927 et 1933 ou déjà tout ce qui restait de notable à conquérir dans les Alpes présentait des obstacles tels qu'une nouvelle technique allait devenir nécessaire.

Il y a bien des plaisirs à tirer d'une grande paroi. L'un des plus savoureux est certainement de tracer un itinéraire élégant en ayant deviné que le degré de difficultés n'est pas celui que les concurrents imaginent. L'auteur de ce livre aura sûrement, toute sa vie, la joie de ne pas avoir payé trop « cher » les deux Sentinelles et la Poire. Mais, ce faisant, il n'a pas marqué de date dans la conquête des Alpes.

L'histoire de La première ascension du mont Blanc a fait connaître au public des qualités d'écrivain et d'analyste de T. Graham Brown. Dans Brenva, il est à la fois acteur et auteur. C'est dire la scrupuleuse précision avec laquelle les ascensions sont décrites, les moindres détails, les conditions, les horaires sont littéralement minutés, comme dans ces tableaux de primitifs qui cherchent à donner une impression d'ensemble par une accumulation de détails.

Ce livre ne fera pas oublier les beaux récits de Frank Smythe sur le même sujet (Alpinisme 1930), mais l'histoire alpine a besoin de documents et, à ce point de vue, Brenva est inégalable. On chercherait vainement une inexactitude dans cette énorme compilation où les très belles photographies sont elles-mêmes accompagnées d'un commentaire qui ne laisse aucune place à la rêverie.

Relevons cependant qu'au milieu de toute cette précision, l'auteur laisse transparaître une opinion abusivement répandue parmi les alpinistes de sa génération, et surtout de sa nationalité : tout ce que d'autres entreprenaient au delà des difficultés considérées comme limites personnelles n'était qu'infimes variantes ou "folies".

Nous regrettons ce manque d'impartialité : la Poire ou les Sentinelles sont de beaux itinéraires, mais la Walker se situe au delà d'eux sur le plan technique, si même elle ne les surpasse pas sur celui de l' "élégance".

Ce livre impeccablement édité et illustré se lit avec intérêt, sinon avec passion.

Entre l'indicateur de chemins de fer et Alice au Pays des Merveilles, il y a bien des nuances dans la manière de décrire un voyage. Au lecteur de déterminer où le présent livre se situe exactement.

Alain de CHATELLUS.