CRITIQUES DE LIVRES

CHASSE EN MONTAGNE

 

 

par Jean Proal, photographies de Charles A. Vaucher.

Marguerat, Lausanne.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 42, Avril 1963)

Voici un livre d'une haute richesse qui s'offre à nous. Une présentation très soignée est loin d'en être la seule cause : un ensemble de 180 photographies, captivantes et souvent parfaites un texte ciselé et parfois éclatant suscitent à chaque instant notre ravissement.

Ce sont évidemment les photos qui attirent d'abord notre attention. Elles constituent sans doute la meilleure illustration systématique qui soit à ce jour de la faune alpine. Ces clichés nous restituent avec une présence extraordinaire les principaux animaux du haut pays dans leur cadre naturel. Nous sommes les témoins privilégiés d'autant de moments de cette vie un peu secrète de l'alpe où l'homme est malgré tout un intrus. Voici nos amis de la montagne arrêtés dans leur mouvement, leur innocence, leur signification la plus pleine : les jeunes bouquetins curieux qui, fugacement, nous observent, la harde de chamois sous les neiges de l'hiver, la perdrix des neiges confiante en son camouflage, la circonspecte dame marmotte...

Nous avons déjà vu ailleurs d'excellentes photos concernant la faune de montagne, mais celles qui nous sont présentées ici sont dans une forme très achevée. Toutes de haute qualité, avec la seule pureté du noir et blanc, occupant le plus souvent la page entière, sans aucune intercalation de texte ou de légendes, bénéficiant d'une reproduction qui accroît encore leur valeur, constituent un merveilleux bestiaire, avec ici et là, selon une mise en page calculée, la vue d'une paroi rocheuse, d'un torrent, d'une avalanche, ou d'un vieil arbre, vibrants décors d'une classique beauté. Et que le futur lecteur se rassure s'il le désire : dans les photos de Charles Vaucher, la poursuite ni la mort n'ont point leur place du moins jusqu'à l'ultime page; et nous voici alors renvoyés au texte qui ouvre le recueil.

Occupant le quart de l'ouvrage, il est d'une incontestable tenue. Le chamois en est le seul sujet et l'on sent au travers d'un style très pur où pas une ligne n'est de trop, quelle admiration, quelle secrète tendresse même l'auteur voue à ce noble animal. Le texte s'ouvre sur une description du chamois et de sa vie au cours des saisons et des ans, qui témoigne d'une grande observation et d'une très sobre sensibilité, et qui pourrait constituer un véritable morceau d'anthologie. L'auteur a repris ici après les avoir polis, des paragraphes entiers de son livre Au pays du chamois.

Mais, les vingt premières pages tournées, c'est la chasse au chamois qui devient le thème du texte. Bien que cette sorte de sport n'ait pas, et de loin, notre assentiment, nous devons dire que la prose de Jean Proal constitue sans doute ce qui a été écrit de plus pénétrant sur ce sujet.

Des différents modes de chasse décrits à l'affût, à la traque, à l'approche , c'est ce dernier qui a les faveurs de l'auteur, surtout lorsqu'il est pratiqué par le montagnard qui déploie "ruse contre ruse, patience contre patience, intelligence contre intelligence". Mais défions-nous ici d'un certain romantisme, sur le braconnier par exemple, qui nous ferait sourire s'il ne s'agissait pas tout simplement d'une opération de destruction. Cependant, la chasse au chamois est pour l'auteur cette activité qui participe d'une violence élémentaire, et qui traduit dans une sombre et triste beauté une mystérieuse communauté entre la bête traquée et l'homme. Mais n'oublions pas que l'égalité de chances n'est jamais totale, et que l'enjeu n'est pas le même !

Aussi et comment les photos de cet album ne nous y inviteraient-elles pas pensons-nous qu'il faut écarter ce lyrisme trompeur et savoir refuser, comme le dit Samivel, "ce legs barbare qui consiste à tuer pour le plaisir".

Sans que la création des parcs nationaux, attendue depuis trop longtemps, le lui impose, le véritable montagnard s'honorerait bien plutôt à conclure une nouvelle alliance de paix avec les animaux de la montagne, et, en tentant d'établir avec eux une confiance même fugitive, à essayer de recréer un paradis perdu, c'est-à-dire à développer sa propre civilisation. Telle puisse être la leçon de ce beau livre.

Gérard de Couyssy.