CRITIQUES DE LIVRES

LA DAME DU PUITS

par Samivel

(Ed. "L'âge d'homme", Lausanne, 1991)
(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 2, 1992)

Samivel laissera d'abord le souvenir d'un exceptionnel talent aux multiples facettes : écrivain, dessinateur, poète. Mais derrière l'artiste il y avait aussi un homme de coeur et de bon sens, un sage. N'est-ce pas un symbole si son dernier livre est quasiment une méditation philosophique, publiée (autre heureux hasard) par un éditeur dont la raison sociale est déjà en soi tout un programme ? Voilà un ouvrage difficilement classable. L'amateur de littérature de montagne stricto sensu risque d'être un peu désorienté. Sur ces soixante " fables modernes pour lecteurs définitivement adultes", il n'y en a guère que trois ou quatre dans lesquelles il soit explicitement question de montagne. On y retrouvera alors avec bonheur la puissance évocatrice et le coup de crayon du Samivel inimitable chantre et peintre des paysages de montagne, comme dans « le bloc et l'androsace »


« Au courtil étoilé des torrents et des cimes
Dans une alpe où le vent gonflé d'azur et d'hymnes...
»

Mais l'essentiel n'est pas là. II est surtout dans la morale de ces petites fables. Pour être sensible à ce message, peut­être faut-il être soi-même parvenu à «l'âge d'homme», avec tout ce que cela suggère d'expérience, de maturité, de prise de recul par rapport aux événements et de retour à l'essentiel. Samivel nous propose en effet une véritable réflexion philosophique sur la création, le temps, la nature humaine, la vanité de certains comportements, la difficulté à communiquer, la relativité des choses... Comme dans un inventaire à la Prévert, il est question successivement de la métamorphose d'un vieux tacot, d'un avion et d'un escargot, d'un moulin à vent, d'un vernissage et d'une tour d'ivoire et de bien d'autres choses encore. Partant d'un détail, d'un fait anodin, Samivel sait trouver matière à réflexion et à enseignement. Si le regard est sans complaisance et sans illusion, il n'est jamais méchant, mais souvent souriant, amusé ou attendri. Certaines fables ultra­courtes publiées en « entracte » sont des petits chefs-d'oeuvre de concision et d'expressivité, à l'image de ce « Soldes »

« Biffe le juste Temps plus d'un faussaire inane

et « l'immortel génie » s'enfonce au ciel des ânes »

Un peu féroce peut-être ? Mais c'est tellement « bien vu »... Merci à Samivel pour ce dernier clin d'oeil complice qui est aussi, derrière l'apparente légèreté du propos, une véritable invitation à la sagesse.


J-P Z.

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