CRITIQUES DE LIVRES

GUIDE DU HAUT-DAUPHINE - MASSIF DES ECRINS

par G.H.M. François LABANDE

( Éd. de l'Envol - Ed. de Belledonne. 1995 )
(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 4, 1995)

La sortie de ce guide est un événement. Dix-neuf années le séparent de son édition précédente. Si les montagnes d'Oisans ont peu changé, les hommes se sont beaucoup agités au pied de la Meije ; de profondes mutations ont bouleversé les manières d'approcher la montagne. Aussi bien sur le terrain que sur le papier, l'image ou le discours. C'est tout à l'honneur du Groupe de haute montagne et de François Labande d'entreprendre une réédition et de se singulariser en prenant un peu le contre-pied de la mode actuelle en matière de topos. Pas de sélection, pas de montagnes élues ni d'autres oubliées. Le choix est bien de donner une description la plus précise mais la plus concise possible de tous les itinéraires de tous les sommets, cols ou sites grimpables d'un secteur


La mémoire de la vie de l'alpinisme de conquête en Dauphiné est assurée. Aux alpinistes de choisir en toute liberté les itinéraires qui les tenteront au lieu de grossir le troupeau des collectionneurs de morceaux choisis. Espérons que la lecture attentive de ces pages fasse découvrir à de nombreux alpinistes des courses désertées et pourtant très belles à la portée d'amateurs de tous niveaux. Souhaitons­leur de trouver le bonheur de chercher et d'imaginer les itinéraires qui leur feront envie à la simple lecture de descriptions très brèves mais suggestives.

Dans son avant-propos, François Labande donne clairement ses intentions : témoignage historique, informations pratiques, réflexion sur l'originalité de ce terrain d'action dans le parc national des Écrins. II était l'homme de la situation, disposant d'une expérience considérable sur tous les registres, doué d'une capacité de travail inimaginable et animé d'une passion immuable et contagieuse pour les hautes cimes.

Oeuvre pourtant difficile. Marqué dans l'opinion publique de notre clochemerle montagnard par son action vigoureuse et courageuse à la tête de Mountain Wilderness, il était attendu au coin du bois. De fait, la sortie du guide a animé quelques soirées en refuges, quelques salles de bistro les jours de pluie ou quelques coulisses de réunions associatives. En réalité c'est la préface de Jean­Claude Marmier qui a le plus chatouillé la sensibilité du milieu. Un retour à la querelle des anciens et des modernes ? N'a-t-on pas vu Pierre Chapoutot, grand prêtre légitime des parois d'Oisans, lancer l'anathème sur l'intrus moralisateur et reprendre la plume pour proposer avec son talent habituel une préface de substitution au guide du massif des Écrins ?

Cette édition répond à notre attente. L'ouvrage reste classique, sa couverture avec sa belle photo du versant nord du massif apporte une discrète touche de modernisme en remplaçant la couverture toilée. Tous les textes ont été revus et souvent repris. Le repérage des itinéraires sur des photos noir et blanc est une belle innovation. Les croquis sont devenus rares, heureusement, car ils sont loin d'égaler en lisibilité et en agrément les croquis excellents de l'édition précédente. Le guide montre bien la remarquable modernisation de l'alpinisme dans cette partie du massif avec une multiplication des itinéraires nouveaux par la conception, l'équipement et parfois la localisation dans des secteurs n'appartenant pas jusque-là au domaine de l'alpinisme. Les sites d'escalade moderne de basse altitude rentrent en force, traités de manière succincte. C'est suffisant si l'on tient de l'équipement fixe et bien visible qui sert de fil d'Ariane et évite de se poser des questions sur la voie à suivre... sauf si les voies sont très rapprochées ou se croisent. Les escalades modernes de haute montagne restent pourtant l'innovation la plus significative de la participation du massif à l'évolution générale de l'alpinisme. La Dibona, le Rouget, les Cavales et surtout la Meije se taillent la part du lion. Malgré les précautions oratoires et l'avant-propos, il est clair que la cohabitation des itinéraires de "l'époque classique" en matière d'équipement et ceux de "l'ère technologique" pose à l'amateur d'aventures alpines en Oisans un choix difficile entre la "magnifique escalade" sécurisée où l'on se fait plaisir dans un cadre exceptionnel,.. et la "magnifique escalade" sans équipement en place, exposée où seule une minorité de grimpeurs expérimentés a des chances de se faire plaisir... et pas trop peur. Dès leur ouverture, les premiers sont rapidement répétés tandis que la majorité des seconds retrouvent souvent une solitude de terrain vierge.

Le "Labande" ne peut que renforcer cette orientation culturelle même si dans ses objectifs la dispersion des grimpeurs sur tout le massif figure en bonne place. II apparaît aussi que, dans ces montagnes, contrairement à ce qui se passe dans le Mont-Blanc, l'évolution est portée par une poignée d'alpinistes, dont certains ont été déjà les plus entreprenants de la période classique finissante. Cambon, Chapoutot, Gleizes, Soleymieux et leurs amis sont incontournables. Dernière nouveauté enfin, comme le souhaite J.-C. Marmier, "les premières fugaces" se sont multipliées, goulottes ou cascades. II est certain que l'activité pionnière sera de plus en plus intense dans cette spécialité.

Somme toute, malgré l'abondance de nouveautés, l'Oisans est resté lui-même ; des secteurs entiers ont échappé aux conquérants de la dernière vague. Les massifs du Gaspard, de Roche Méane ou du Bourcet restent des réservoirs d'aventures classiques sur des parois désertes, hautes et rébarbatives. « Le Labande » va-t-il relancer la conquête comme l'affirmait Lucien Devies dans les éditions précédentes ? Je suis sûr que François Labande, toujours vert, nous apportera la réponse dans la prochaine édition du guide, au XXIf' siècle.


Louis VOLLE.

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