CRITIQUES DE LIVRES

EVEREST 78

par Pierre Mazeaud

(Ed. Denoël, Paris. 1978).

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°1 - 1979)

 

 

Le récit d'expédition.

La description est simple, vivante, émaillée bien sûr des poncifs habituels, mais après tout pas plus qu'une autre. La structure de l'ouvrage est strictement conforme aux règles du genre : le projet, la décision, le choix de l'équipe, la préparation, le départ, la marche d'approche, l'échec frôlé, le succès.

On retrouve, sous une plume vive, un air connu pour accompagner les nécessaires métaphores guerrières (les troupes, la stratégie, le combat, l'assaut, la victoire). Si l'on s'en tenait là, l'ouvrage ne mériterait guère de commentaire particulier.

Une galerie de portraits.

On entre là dans le tissu vivant : les hommes sont présents à chaque page. Membres de l'expédition, "pièces rapportées" (équipe de radio télévision et autres), porteurs et sherpas bien sûr, mais aussi tous ceux dont ce récit fournit à l'auteur l'occasion de dire un mot, de brosser un portrait, d'écorcher ou d'encenser. Attention, tout le monde n'est pas beau, tout le monde n'est pas gentil.

 

Bien sûr, tout un chacun est l'ami de Pierre Mazeaud mais par delà cette amitié dont l'universalité peut agacer, nombre de portraits tranchent par leur diversité avec le conformisme ambiant qui consiste à n'égratigner personne.

II ne s'agit ni de faire un bilan, ni de porter un jugement sur les individus : seulement des brèves notations, des anecdotes, des impressions. Expert ès digressions, l'auteur nous emmène faire nombre de visites impromptues : de Yannick Seigneur à Christian Brincourt, de l'E.N.S.A. à la Compagnie des Guides de Chamonix, du Syndicat National de l'Education Physique au Parti Communiste, du président du Comité de l'Himalaya à Claude Francillon journaliste au Monde, de la F.S.G.T. à la Fédération Française de la Montagne, cette narration nous emmène beaucoup plus loin que l'Everest.

Mazeaud ne fait pas d'autocensure, crève les abcès, décrit les conflits sans les enrober de sucreries. Telle est, entre les lignes entre les camps la substance du livre.

Du bon usage de l'écrit

"On m'a toujours reproché finalement ce qui n'est que franchise" (p.92). Cette affirmation est exacte et discutable en même temps.

II est exact que, devant un dénigrement et un climat assez hostile dans certains milieux, Mazeaud a toujours été parfaitement clair sur ses intentions "l'important c'est qu'on en parle" (p.72).

Mais important pour qui ? Important pour quoi ?

Cette affirmation est également discutable dans la mesure où ce livre, par-delà la description d'une expédition, applique sa franchise à des explications qui ressemblent fort à des règlements de compte. Entre le président du Comité de l'Himalaya injustement accusé d'avoir tenté de dissuader l'un des membres de prendre part à l'expédition, et une société fabriquant du matériel d'alpinisme qui, ayant accordé un très important soutien à cette équipe, n'a droit qu'à la malédiction prononcée par le chef de l'expédition, il n'est pas certain qu'un grand service ait été rendu à tous ceux qui souhaitent partir en expédition. Pourquoi donc cette vindicte à l'égard d'un certain nombre de personnes et d'organisations ?

Pierre Mazeaud use (abuse ?) de la position de force de l'ancien Secrétaire d'Ètat qui vient de réussir l'Everest et publie un livre largement diffusé pour dire leurs quatre vérités (et quelques faussetés) à tout un chacun, accompagnées de quelques acides remarques sur le sport de masse et rythmées par le leitmotiv : "L'important, c'est qu'on en parle".

Mais en voilà assez parlé. Hors le récit de l'ascension, ce livre sort du commun par les nombreuses incidentes qui, faute de permettre au lecteur de se faire un jugement serein et argumenté, l'aideront à se poser quelques questions pertinentes.


Vincent RENARD.


et la suite... dans la Revue " Montagne et Alpinisme" N°2 - 1979 :

A la suite de la critique du livre publiée dans notre n° 1/1979 consacrée à Everest 1978, nous avons reçu la mise au point suivante que Pierre Mazeaud nous prie de publier :

Etonné, non par les critiques à mon endroit (mêmes injustifiées), j'ai relevé dans l'article consacré à mon livre Everest 1978 certaines erreurs qui relèvent de la malhonnêteté indiscutable. II m'est donc apparu nécessaire de les souligner afin que le lecteur ait un éclairage plus exact que celui qu'a voulu donner Monsieur Renard.

Laisser supposer que j'ai écrit (en pratiquant les guillemets pour affirmer la citation ainsi que le numéro de la page "72") "l'important c'est qu'on en parle" n'est pas simplement fantaisie de critique mais volonté délibérée de nuire. Non seulement je ne l'ai pas écrit, mais j'ai parfaitement indiqué que, la réussite ayant une meilleure résonance que l'échec (toutes les réussites), il était bon que notre victoire - celle de l'équipe toute entière - soit soulignée, même par les médias; que Monsieur Renard ne partage pas ce sentiment, libre à lui. Par contre que la malhonnêteté le conduise à inventer une citation (en allant jusqu'à préciser la page) permet aisément de le juger.

Deuxième erreur qui se confond plus volontiers avec de la malveillance. De quel règlement de compte entend parler l'auteur de la critique ? Veut-il rappeler que le Président du Comité de l'Himalaya était il l'est peut être toujours conseiller technique d'une marque dont nous n'avons eu qu'à nous féliciter de ses produits, mais les tentes K 2 trop complexes ? Ajouter que j'accuse injustement ce même Président relève de la fantaisie la plus pure. Je ne fais que de rappeler que, n'étant pas favorable (pour des raisons que je respecte et qui lui sont personnelles) à notre expédition, Robert Paragot a bien eu la conversation que j'ai reproduite avec l'un de mes coéquipiers.

Enfin et c'est là sans doute ce qui m'apparaît être le plus grave, Vincent Renard laisse entendre que mes critiques sur les seules tentes K 2 (qui relèvent plus de l'humour mais sait-il ce que c'est!) conduiront la maison Jamet à ne plus aider les futures expéditions. C'est considérer sévèrement cette grande maison d'articles de sport dont la renommée n'est plus à faire, c'est surtout conduire les membres des futures expéditions à un jugement inexact. Quel fournisseur sans risque pour sa réputation prendrait une telle mesure de rétorsion ? Comment laisser croire que je n'ai voulu que porter préjudice aux jeunes générations, alors que je me contente d'indiquer combien par mauvaises conditions atmosphériques le montage des K 2 est difficile ?

Fantaisiste, Monsieur Renard, non point. Délibérément malveillant, voire malhonnête. Alors un conseil, puisque j'abuse (paraît-il c'est vous qui l'écrivez) "de ma position de force d'ancien Secrétaire d'Etat" encore que volontairement je n'ai pas demandé l'appui des pouvoirs publics, précisément pour éviter ce reproche vous considérerez qu'il vous faudra désormais, comme tout critique digne de ce nom, connaître vos responsabilités et ne pas dépasser des limites qui conduisent parfois non dans le simple droit de réponse mais devant les tribunaux.

Pierre MAZEAUD.

Vincent Renard nous fait parvenir le texte ci dessous que nous publions au même titre que le texte de Pierre Mazeaud:

Le poète chinois Li Fu écrivait : "A la pleine lune, le muscardin qui écume s'observe dans le lac et mord la brume". Nous demandons aux lecteurs de bien vouloir excuser une légère erreur de citation et suggérons à ceux qui n'ont pas souhaité dépenser 52F pour acheter Everest 1978 et veulent éclairer leur lanterne, de l'emprunter à la bibliothèque du C.A.F. et de se reporter en particulier aux pages 71 et 98.
Pour le reste, l'important c'est qu'on n'en parle plus.

Vincent RENARD.

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