CRITIQUES DE LIVRES

LA VIE DE LA MONTAGNE

 

 

 

par Bernard Fischesser (Ed. Chêne/Hachette, Paris. 1983).

(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 2, 1983)

 

Si la chronique des livres abonde en récits d'ascensions, en albums nous présentant à partir d'une riche illustration les beautés de tel ou tel massif, il est par contre beaucoup plus rare de trouver une publication qui ait pour objet la connaissance de la montagne et qui de surcroît réunisse les qualités d'un ouvrage technique sans abandonner l'intention de séduire. Bernard Fischesser a pris ce parti difficile et son livre La vie de la montagne est une remarquable présentation de ce que nous savons sur ce milieu minéral et de glace que constitue la montagne, comme sur les formes de vie qui y existent, flore, faune... et présence de l'homme.

Le risque de tout ouvrage à vocation didactique est de n'intéresser que le lecteur averti et d'être terriblement ennuyeux pour le profane ou bien, et c'est là le pire, de sombrer dans la vulgarisation racoleuse. Le livre de Bernard Fischesser se situe sur un tout autre plan. Sans doute parce qu'il aime profondément la nature, qu'il parle de domaines qui constituent son travail et sa vie, son livre n'est pas, et de loin, une suite d'exposés techniques, mais un livre de la vie, tout de sensibilité et de poésie. Je ne peux résister au plaisir d'illustrer ce propos par deux citations. La première porte sur la capacité du monde végétal à s'adapter: "la plante se ramasse et se plaque contre le sol qui accumule la chaleur solaire, elle recherche les "rochers chaufferettes" contre lesquels elle se blottit ". La seconde concerne le monde minéral, ce jeu antagoniste érection/érosion qui façonne une chaîne de montagne: "le lent ressac de cette vague de pierre se métamorphose, gémit, craque et roule au rythme lent des millénaires".

Le profane que je suis ne sait ce qu'il doit le plus admirer, la structure même de l'ouvrage, véritable nomenclature des domaines de la montagne, la qualité d'exposition agrémentée de tout un ensemble de planches schématiques particulièrement parlantes, la somme de connaissances ramassée dans quelque 250 pages au cours desquelles nous découvrons ces transformations qui naissent de toute rencontre.

Enfin, dernier aspect et pas des moindres, l'auteur aborde activité de l'homme en montagne. Il nous exprime ses craintes, elles ne concernent pas l'habitant des vallées qui vit en symbiose avec la montagne, ni même ces conquérants de l'inutile que sont les alpinistes. Bernard Fischesser attire notre attention sur la nécessaire connaissance, et par voie de conséquence, le respect des logiques et des contraintes du milieu de montagne. Il souligne les diverses formes d'agression que peuvent constituer les conceptions et les réalisations issues d'un monde quasi exclusivement citadin. Ce chapitre, un peu court, nous laisse sur notre faim, mais paradoxe, c'est là peut-être une de ses qualités essentielles ! Que nous sommes loin des discours bardés de certitudes, de ces procès habillés tout à la fois de scientisme et de juridisme qui hélas fondent de façon trop souvent démagogique les raisonnements d'un bon nombre de " défenseur de la nature".

Le propos de E. Fischesser est dépouillé d'artifices et les failles de nos modèles d'analyse apparaissent. Si nous sommes en mesure de décrire certains équilibres fragiles du milieu de montagne, nous sommes bien démunis dès qu'il s'agit d'expliciter et de fonder des critères d'arbitrage entre des équilibres naturels et la nécessité d'une insertion des zones de montagne dans l'économie d'une nation moderne. Souhaitons que cet ouvrage ait une suite et qu'elle apporte une nouvelle contribution au débat amorcé.

La vie de la montagne :un livre à avoir dans sa bibliothèque pour pouvoir le lire et le relire. Un regret pourtant, la qualité s'accompagne d'un prix de vente qui ne mettra sans doute pas cet ouvrage à la portée de tous.

Jacques MALBOS