CRITIQUES DE LIVRES

ILS ONT CONQUIS L'HIMALAYA

par Bernard PIERRE.

(Ed Plon, Paris 1979)

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 119, 1980)

 

En alpinisme comme en tout autre domaine à notre époque, l'histoire marche vite. Dans l'Himalaya, semble-t-il, plus encore qu'ailleurs. Vingt ans d'efforts, entre les deux guerres mondiales, n'avaient pas permis la conquête d'un seul des quatorze "plus de 8000". Treize d'entre eux ont été gravis en dix ans à peine, entre 1950 et 1960 ; et le dernier en 1964.

Dès lors a commencé (selon une évolution parallèle à celle qu'avaient connue les Alpes) la conquête, d'une part, de sommets moins élevés mais souvent plus difficiles que les premiers ; et, d'autre part, la conquête systématique des voies, de plus en plus ardues et à des altitudes parfois extrêmes. D'où la nécessité de bilans successifs marquant les différentes phases de ce processus, opérant la synthèse des résultats acquis et définissant le sens de l'évolution en cours. Le livre de Bernard Pierre me semble bien répondre à ces impératifs, et venir à son heure.

II s'ouvre de but en blanc sur un beau récit de l'aventure tragique et presque mythique de Mallory et Irvine à l'Everest. Procédé heureux, qui, d'emblée, plonge le lecteur dans un climat d'émotion et d'épopée qui subsistera, animant l'exposé historique.

 

Après une relation rapide des premières explorations du XIXe et du début du XXe siècles (et non sans avoir salué au passage l'étonnante aventure au K2, dès 1909, du Duc des Abruzzes, ce précurseur), on entre dans le vif du sujet avec la série des expéditions anglaises à l'Everest par le versant nord entre 1921 et 1938. C'est la partie la plus développée du livre, et l'on sent dans ces pages la particulière dilection de l'auteur. Les autres grandes aventures de l'entre-deux guerres (Kangchenjunga, Nanga Parbat et ses deux tragédies, K2, Nanda Devi) sont aussi relatées plus brièvement. Dix lignes seulement sur la première et la seule expédition himalayenne française de cette époque, au Hidden Peak, sous le commandement d'Henry de Ségogne récemment disparu. C'est peu... Vient ensuite la période de la grande conquête : les 8 000, tous les 8 000, tombant les uns après les autres à une cadence accélérée. Et enfin ce que, paraphrasant une formule célèbre, Bernard Pierre baptise "le temps de l'Himalaya fini" : un nouveau mode de conquête, systématique, des innombrables sommets mais aussi de la difficulté, et comprenant une reconquête des plus hauts sommets, sans oxygène cette fois ce qui change tout ! II faut noter aussi l'apparition d'expéditions très légères, de style alpin. Le livre nous conduit jusqu'aux toutes dernières victoires de 1978, et même à certaines de 1979.

L'histoire de l'Himalaya ne saurait désormais tenir tout entière et dans le détail en un seul volume, fût-il de taille. L'auteur a choisi d'écrire un livre concis et malgré tout complet, en ce qu'il n'omet rien d'essentiel. S'il est contraint de passer rapidement sur certains événements d'ailleurs bien connus, il sait déterminer et marquer les temps forts de la conquête ; et, ce qui peut-être est le plus important dans un livre de ce genre, il sait expliquer, insérer les faits dans leur contexte historique et en déceler la signification.

Bernard Pierre, dont le style sobre et net n'exclut pas l'émotion secrète, nous a donné là, me semble-t-il, un de ses meilleurs livres.

Georges SONNIER.

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