CRITIQUES DE LIVRES

HOMMES, CIMES ET DIEUX
 

 

 

par Samivel.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - N°4 et 5 - 1973)

Dessinateur, photographe et cinéaste, essayiste, conteur et romancier, historien, philosophe et humoriste, alpiniste enfin, tel est Samivel qui vient de donner à son oeuvre nombreuse et multiforme non pas un terme certes, mais un aboutissement : Hommes, Cimes et Dieux est un livre ambitieux qui recense et étudie les mythes et légendes dans lesquels s'est fixée l'histoire des rapports de l'homme avec cette montagne sans laquelle " l'espèce n'eut probablement pas survécu ".

L'homme animal vertical constatation apparemment banale, mais peut être, parmi cent autres, notre meilleure définition. Car c'est la verticalité qui a fait l'homo sapiens ; et seul, il s'élève en l'air, avec le feu, l'arbre et, bien sûr, la montagne. Ainsi, dès son origine, l'homme a dû confronter sa verticalité à celle fascinante de la montagne. Bienfaisante, celle-ci donne le feu, l'eau, les minéraux, les pierres précieuses ; elle est le chemin du ciel et celui du Ciel ; elle est la puissance et l'unité ; elle est la demeure des dieux quand elle n'est pas Dieu lui même. Montagne malfaisante aussi : elle est le monde des glaces, des tourmentes, des orages, des avalanches ; elle est l'obstacle et l'interdit ; elle est le règne des diables et des démons, la pesanteur et le chaos.

Mythes et légendes disent tout cela. Mais ce ne sont pas de simples récits, contes ou fables; si on sait les lire, comme fait l'auteur, on y déchiffre l'histoire de nos origines, notre histoire d'avant l'histoire. Ils nous racontent (et les rites aussi, qui font l'objet d'une annexe bienvenue) la création du monde, l'apparition de l'homme, la naissance de ses liens avec la nature et avec le surnaturel.

Tout alpiniste qui réfléchit sur sa pratique entrera avec curiosité dans ce " musée imaginaire " où, paléontologue des symboles, mais aussi leur exégète, Samivel a rassemblé les fossiles qui nous montrent comment, en s'élaborant et en se symbolisant, l'angoisse humaine s'est soulagée et rassurée.

Ce n'est pas un livre facile, Mais on le lit facilement, car l'écrivain s'est gardé du jargon philosophique ou scientifique. Sa veine humoristique sait même égayer à point nommé ce qui pourrait avoir l'aridité d'un inventaire. Enfin son style fluide charrie aussi d'excellentes formules comme celle ci, à propos des Sages : " Ils savaient que l'altitude est à la fois ascèse et opulence. " .

Jean BOCOGNANO.