CRITIQUES DE LIVRES

GASPARD DE LA MEIJE

par Roger CANAC

( Éd. des Presses Universitaires de Grenoble. 1984 )

LE ROMAN DE GASPARD DE LA MEIJE

par Isabelle SCHEIBLI

( Ed. Didier Richard, Grenoble. 1984 )

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°2 - 1985)

Pierre Gaspard, premier rôle dans un film et dans deux livres. La parution presque simultanée de deux livres qui, d'une manière différente, relatent la conquête de la Meije par Pierre Gaspard peut être un sujet d'étonnement dans la mesure où cette victoire s'étant produite en 1877, il ne peut donc s'agir de la commémoration d'un centenaire.

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Le récit d'Isabelle Scheibli, intitulé le Roman de Gaspard de la Meije (É. Didier Richard) est en fait le scénario d'un film qui a été présenté à la télévision voici quelques mois. Comme l'auteur tient à le faire remarquer, le titre lui a été grâcieusement cédé par Roger Canac, auteur de
Gaspard de la Meije. La version de ce dernier est un peu différente puisqu'il dit textuellement : "Des gens du cinéma et de la télévision vinrent à la maison emprunter ce titre". Suivent quelques réflexions plutôt désabusées. Passons...

Impossible de dissocier le récit d'Isabelle Scheibli du film ; même cadre étroit : Saint Christophe, la vallée de la Romanche et celle du Vénéon, les crêtes avoisinantes, mêmes figures de proue, celle de Gaspard entraîné dans l'aventure par le baron de Castelnau mais aussi Salomon, le braconnier, véritable découvreur de la voie conduisant à la conquête de la cime appelée "La grande diffi­cile".

Le récit trop lent, bien que fort bien écrit, n'a pas la puissance des images du film, malgré l'utilisation du présent de narration, moyen classique pour donner plus de vigueur à un récit. Au hasard, choisissons une phrase caractéristique "Pierre longe le sentier en poussant ses jambes devant lui avec cette foulée égale qu'il a maintenue depuis qu'il s'est mis en marche". Après tout, ce n'est pas un reproche. On pourrait même convenir que cette prose ronronnante traduit fort bien non seulement la routine apparente de la vie en haute montagne, mais la lente élaboration d'une entreprise qui apparaissait à tous comme une entreprise vouée à l'échec.

Avec Roger Canac, tout est différent. L'épopée de Gaspard est replacée dans le contexte historique et géographique du pays. L'auteur rappelle tout d'abord que la mutation de la vallée du Vénéon ne date que du début du siècle ; auparavant, on accédait à Saint-Christophe et à La Bérarde au péril de sa vie et les descriptions de voyageurs mentionnent à l'envi les précipices affreux et les chutes de rochers.

Puis voici l'aiguille du Midi, Meije en patois provençal, cathédrale massive qu'il semblait plus logique d'aborder par le versant qui domine le cours de la Romanche. Le paradoxe a voulu que la face cachée fournît la solution à Gaspard et au baron de Castelnau.

Et enfin, omniprésent dans tout l'ouvrage, Pierre Gaspard, guide assurément, mais aussi berger, chasseur de chamois, guérisseur et à l'occasion compagnon amusant, sociable et nullement inculte. Et comme si l'aisance en montagne du père Gaspard devait immanquablement susciter des vocations, toute une dynastie de Gaspard honore le métier de guide et réalise des prouesses.

On le voit, la comparaison entre ces deux livres à la gloire de la victoire de 1877 n'aboutit pas à en préférer un.

 

Marius COTE-COLISSON .

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