CRITIQUES DE LIVRES

Les Horizons Vaincus

La Face Nord de l'Everest en solo

 

 

 

par Reinhold MESSNER (Éd. Arthaud, Paris. 1983).

(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 4, 1983)

 

Reinhold Messner étonne non seulement par ses exploits exceptionnels mais aussi par son talent de narrateur. Le lecteur, alpiniste ou seulement néophyte des choses de la montagne, vit avec l'auteur-acteur une aventure exceptionnelle, il participe et finit par être ce compagnon que le grimpeur solitaire croit entendre derrière lui.

Défi à la plus haute montagne du monde par un homme seul. Comme hier au Nanga Parbat, Messner se lance sur les traces des pionniers de l'Everest par l'arête nord. Il réussit au prix de quelle souffrance, lutte sur l'objectif, sur lui-même, sur les éléments, sur la solitude, sur son être et trouve comme à chaque retour et la force et la joie de pleurer.

Il est sans conteste le plus grand alpiniste de nos générations et pousse sa démonstration à la limite du possible pour que cette première place lui soit reconnue. Qu'il se rassure, personne ne la conteste et cette magnifique première solitaire sans oxygène restera l'une des pages les plus étonnantes de tous les temps.

J'ai déjà eu l'occasion de dire combien cet homme avait su, par une conception réaliste, une préparation méticuleuse, un entraînement exemplaire atteindre une sorte de plénitude qui enlève au courage jusqu'à son propre sens, tant il nous a habitués à être doté de telles vertus. Le lecteur lira ce récit, y trouvera les accents humains de la peur, de l'angoisse, y rencontrera les difficultés qu'offrent tous les passages à de telles altitudes, comprendra la simplicité du vainqueur assis trois quarts d'heure au sommet, conscient de vivre l'inoubliable, suivra cette descente comme une quête vers le bonheur de se retrouver, délivré des dangers objectifs comme de sa propre fatigue, avec les hommes qu'il avait oubliés pour ne communiquer dans un dialogue incessant qu'avec SA montagne.

Nous l'aimons alpiniste d'autant plus que l'amitié personnelle finit par me faire quitter les sentiers de l'objectivité - il est incontestablement le meilleur - pour ne retenir que l'écrivain. Avec quelle intelligence Messner jette-t-il un regard sur la Chine. Le Tibet, s'ouvre-t-il à la condition des hommes ? Épuise-t-il par des réflexions percutantes le sujet politique d'un monde qu'il eût pensé différent ? Avec quelle réflexion il trouve dans la tradition la justification de la vie de ces êtres hors du temps avec lesquels, les comprenant, il communique parce que partageant leur amour de la nature et leur humilité. Les pages sur son voyage sont celles d'un conteur doublé d'un philosophe et j'imagine volontiers la sincérité de son désir de retourner vers ces confins himalayens pour y finir, son destin d'alpiniste accompli, ses jours.

Enfin parce qu'il est, à ma connaissance, le premier à rendre un tel hommage à ceux qui l'ont devancé dans des tentatives héroïques, pensons à ces démentiels et merveilleux essais solitaires de Wilson, Denman et Larsen, souvenons-nous de la disparition qui reste du domaine de l'interrogation, donc de la légende, de Mallory et lrvine, reconnaissons à Messner un titre de noblesse supplémentaire. Il donne un sens à la littérature alpine.

Pierre MAZEAUD