CRITIQUES DE LIVRES

LES MONTAGNARDS DE LA NUIT

 

 

par R. Frison Roche.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 71, Février 1969)

Voici l'un des meilleurs, sinon le meilleur livre de Frison-Roche. Après les beaux romans chamùoniards et sahariens,après les ouvrages sur les terres arctiques, l'auteur revient chez lui, en Savoie, pour nous raconter l'histoire d'un maquis de l'Armée Secrète en 1944. Le Vercors et le Plateau des Glières ont leur histoire tragique et même leur légende. Pour le maquis qui a tenu victorieusement le territoire compris entre la Tarentaise et la Haute-Savoie, Frison-Roche se défend d'être un historien et s'en tient au domaine de l'imaginaire. Sans trahir la discrétion de l'auteur, on peut cependant dire que la majorité des faits et des personnages de son roman sont authentiques et que les survivants ne le démentiront pas.

La geste du maquis du Nant-Noir est écrite d'un style alerte : l'action, conduite en scènes rapides, est soutenue et tient le lecteur en haleine sans un instant de répit. Rivier, le chef du maquis, officier d'active, qui s'est distingué en ,juin 1940 à la frontière italienne avec sa section d'éclaireur-skieurs, allie l'audace à la prudence, porte à l'adversaire tous les coups possibles en économisant les forces et la vie de ses hommes une poignée d'hommes devenus plus de mille dans l'été 1944. Après de longues attentes, où il lui faut contenir l'ardeur de ses maquisards, le moment triomphal arrive en août avec le parachutage de milliers d'armes et la déroute de l'ennemi. Pendant que les Montagnards de la Nuit agissent en silence, évitent les routes et les vallées sauf pour de rapides coups de main, la vie continue dans les villages et les alpages. Les paysans sont souvent peureux ou indifférents, parfois hostiles, mais "la délation chez eux, comme chez tous les peuples libres - et les Savoyards le sont - constitue !e plus grand des déshonneurs". Plusieurs d'entre eux se sont engagés dans la résistance ou ont rejoint la troupe de Rivier au moment de passer à l'action finale. Comme il les aime, Frison-Roche, comme il les comprend ces paysans savoyards fiers et sages ! Certains portraits de vieux et de vieilles trahissent une véritable piété filiale discrètement contenue.

Le récit se déroule dans un cadre de montagnes où chaque action est associée à un paysage décrit avec une connaissance admirable des beautés naturelles du pays. L'entraînement du maquisard nous conduit dans les hauts cirques déserts ou à l'abri des falaises et des aiguilles. Le guet, les coups de main et les opérations de ravitaillement s'exécutent la nuit dans les gorges sombres du Nant Noir ou sous le couvert des épaisses forêts de sapins. Les périodes de repos el les réunions des chefs de trentaines rassemblent les hommes dans les clairières ou les hauts alpages émaillés de fleurs.

Frison Roche sait, quand il faut, évoquer les fautes tactiques, les rivalités entre résistants civils et militaires ou entre maquis F.T.P. et A.S., la méfiance des agents de Londres à l'égard des soulèvements spontanés. Mais toutes les erreurs lui servent de repoussoir pour exalter la sûreté de jugement, la discipline, le patriotisme, l'esprit de sacrifice, l'humanité, la générosité de Rivier et de ses hommes. L'assassinat ignoble de Rivier par un adjudant S.S. sera vengé par la libération de la Savoie.

Telle est l'épopée des Montagnards de la Nuit faite de grandeur et de courage, de dignité humaine, d'audace et de sagesse.

Je puis attester qu'aujourd'hui encore, dans maints chalets du pays, le souvenir deRivier est évoqué avec vénération.

Jacques TEISSIER du CROS.