CRITIQUES DE LIVRES

LA MONTAGNE DES AUTRES

par Bernard Amy.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " Montagne et Alpinisme")

 

 

Je viens de finir La Montagne des Autres. Je ne l'ai pas lu d'un trait ; je l'ai lu un peu comme on déguste le thé à la menthe chez les Arabes, à petites goulées, parfois amères, espacées de palabres et de méditations. Du coup j'ai bien envie de brûler une partie de ma bibliothèque : elle est pleine de Pérous sans Indiens, d'Afriques sans Africains, d'Himalayas sans Himalayens à moins que les porteurs sachant porter et les sherpas Bécassines ne soient là pour en faire fonction. Je ne conserverai que trois livres et demi, dont celui de Bernard Amy.

Ce n'est pas que je l'aie trouvé parfait. Il m'a même parfois irrité, surtout quand il s'alourdit de citations et prend alors l'aspect d'une laborieuse dissertation d'étudiant en sciences humaines. Mais j'ai aimé la démarche de l'auteur parce que je la trouve honnête et que, de surcroît, cette honnêteté est opportune. Il est grand temps que notre petit monde d'alpinistes s'interroge sur ses motivations, j'allais presque dire sur son idéologie.

 

C'est à quoi nous invite Bernard Amy par ce récit critique d'un mythe vécu qui est celui de l' "expédition" (le concept lui-même n'est-il pas déjà un mythe? Combien d' "expéditions" ne sont que de grandes bambées confortables et faciles !). Il lui substitue le thème de la Rencontre, la montagne n'étant plus une finalité (qui trop souvent justifie toutes les attitudes possibles, à commencer par les plus hautaines et les plus méprisantes) mais un prétexte essentiel.

Du coup il est à même de dévoiler une ambiguïté essentielle : Celui chez qui nous allons, c'est à dire l'Autre, croit que c'est pour lui que nous venons et à ce titre nous Honore (ceci reste vrai jusqu'au moment où l'esprit "Sahib"... je veux dire,"Touriste", se manifeste; après quoi...). A l'inverse, trop souvent, nous ne venons que pour la montagne, où l'Autre n'a sa place que dans la mesure où il nous sert à quelque chose ("ces sous-développés, tous les mêmes !..." j'ai entendu ça quelque part). Qu'on ne s'étonne plus, après cela, si la plupart des comptes-rendus que l'on peut lire ne sont guère que des chroniques superficielles, froides ou prétentieuses, où l'Humain est au mieux réduit à une série de clichés historico-archéologiques énoncés sur le ton de la vérité éternelle ("ils sont comme ci, ils sont comme ça").

Bernard Amy porte, à mes yeux, un autre grand mérite. Il connaît les limites de son langage et de sa perspicacité. Il sait que son regard et son verbe sont piégés, il sait aussi s'avouer qu'il échoue parfois. Ce n'est pas la moindre de ses qualités. J'allais lui faire reproche du caractère souvent haché, désaccordé de son récit. Mais je me demande en définitive, si cela ne contribue pas à sa sincérité et, partant, également à notre compréhension complice.

Oui un bon livre, mais aussi un livre utile
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Pierre CHAPOUTOT.

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