CRITIQUES DE LIVRES

IL ETAIT UNE FOIS LA MONTAGNE...

par Luc Tournier - propos recueillis par Claude et Jean-Claude Pasteur

(France-Empire, Paris 1979).

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°3 - 1979)

 

Tous les habitués de Chamonix connaissent Luc Tournier, patriarche de la vallée et de ses guides : haute silhouette aussi droite qu'un fût de sapin en dépit du grand âge, regard bleu, clair comme l'eau des bédières, parole facile, avisée et volontiers malicieuse... Luc Tournier est de la race des conteurs, et ceux qui liront ce long récit croiront entendre à maint passage sa voix elle même, et son accent chantant.

II était une fois la vallée de Chamonix... Tel pourrait être plus précisément le titre de l'ouvrage, car Luc Tournier ne rapporte guère ici ses souvenirs de guide (qui feront peut-être, souhaitons-le, l'objet d'un autre livre savoureux) et se borne à faire le récit de son enfance et de son adolescence de petit paysan montagnard. L'ouvrage est à ce titre un document fort intéressant sur la vie bien rude encore ! des Chamoniards au début de notre siècle et sur un certain nombre de coutumes locales qui se sont malheureusement perdues. II relate aussi certaines grandes heures de l'histoire de la Vallée, comme la visite impériale de septembre 1860. II ne s'agit toutefois pas là d'une béate hagiographie du passé. Luc Tournier fait la part des choses. Et s'il dit: "On mangeait du pain noir et des pommes de terre à tous les repas, mais on ne manquait de rien ; on avait du feu à la maison, de bonnes socques et de gros capuchons pour l'hiver, l'amitié de nos parents. Que faut-il de plus à un gamin pour être heureux ?", s'il déclare plus loin : "cela fait plaisir aux gens de ma génération de voir des jeunes qui vivent une vraie vie, rude et saine, comme celle que nous menions quand nous avions leur âge", il reconnaît volontiers que la vogue des sports d'hiver "a sorti les montagnards de leur isolement et de leur pauvreté", chose à considérer.

 

 

Puis, critiquant certains excès regrettables de l'époque actuelle, il conclut sagement : "Ce qui manque à l'homme, vois-tu, c'est la mesure ; toujours la mesure...". Cette mesure-là, en revanche, ne manque guère à Luc Tournier, qui nous fait entendre la voix de l'éternelle sagesse paysanne, restée proche de la terre et de ses rythmes. Ses propos sont vifs et savoureux. On les écoute plus même qu'on ne les lit.

Son père, guide, étant mort en montagne quand Luc avait huit ans, celui-ci nous raconte l'éveil de sa propre vocation, qui le poussa, très jeune, à devenir "rentourneur" (accompagnateur de mulets), puis porteur, avant de reprendre le flambeau dans une famille qui a toujours compté un guide au moins par génération.

II rapporte aussi à sa façon la première ascension du Mont Blanc : Jacques Balmat "avait vingt cinq ans, quand il atteignit en solitaire le sommet du Mont Blanc. Tout seul, tu m'entends !" Affirmation qui m'a, je l'avoue, fait sursauter et dont je laisse à son sympathique auteur toute la responsabilité. On aimerait en savoir davantage...

Luc Tournier exprime et explique son amour de la montagne, en termes simples et justes : "quand tu te retrouves dans ces immenses champs de neige, plus haut que les forêts, tout près des glaciers éternels, tu éprouves un sentiment extraordinaire. Tu réalises vraiment toute la beauté du monde". Toute la beauté du monde, oui... Que dire de plus ?

L'ouvrage s'achève sur un certain nombre de vieilles recettes de médecine savoyarde, communiquées par un "rhabilleur" (rebouteux) qui répondait au surnom flatteur de Guéritout. Elles sont plus pittoresques que tentantes. II faudrait les essayer...

Déplorons pour finir le grand nombre de fautes typographiques qui altèrent l'orthographe et déforment certains noms cependant notoires (par exemple: Coutet, Pacarc, etc.).

Georges SONNIER.

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