CRITIQUES DE LIVRES

NANGA PARBAT

 

 

Dr Karl HERRLIGKOFFER.

Julliard, éditeur à Paris. Collection La Croix du Sud.

(Revue " La Montagne" - No 367, 1954)

 

Il est triste, devant ce très mauvais livre, de ressentir de quelle pitoyable façon le Nanga Parbat est trahi devant la jeune génération. Et ce sommet ainsi esquissé, qu'évoque-t-il de manière précise dans la jeunesse ? Est-ce un peu plus qu'une grande montagne, bien loin, bien haute, peut-être aussi bien ennuyeuse ? De la glace, des avalanches, de la neige, beaucoup de neige à tasser, à brasser, à creuser, cela intéresse sans doute encore, mais cela peut-il faire battre comme autrefois des coeurs de vingt ans ? L'élan collectif passionné vers les plus hautes montagnes n'aura finalement été qu'une flambée, le temps si court qui sépara la conquête du premier et celle du plus haut des 8.000, temps déjà si révolu qu'il faut le voir dans l'histoire. Mais où sont Nanga et Kantsch d'antan ?

J'ai la chance d'être juste assez vieux pour avoir pu être jadis étreint par ces épopées. Car au delà des outrances d'une nation, il y avait l'âme de l'alpinisme allemand, du grand alpinisme allemand de l'entre deux guerres, littéralement consumée dans l'attente des deux sommets. Un tel espoir purifiait beaucoup de tentatives par son ampleur même et les faisaient entrer entières dans le patrimoine de tous les alpinistes. Mais, par un curieux destin, le Nanga Parbat, assiégé jadis par la foi d'une nation, a vu arriver un homme seul. En accomplissant le plus extraordinaire exploit individuel, Buhl n'a-t-il pas détruit pour les générations futures les valeurs d'évocation de la geste collective d'autrefois ? Il fallait la perpétuer, mais ce ne sera pas par le livre d'Herrligkoffer.

Je me souviens des livres de jadis, de Bauer, qui, revenant en 38 au Nanga Parbat où tant et tant des siens sont ensevelis, ne lui trouve d'autre nom que "Berg der Kameraden". C'était peut-être puéril, vrai ou faux tout ensemble, surtout pour l'expédition de 34, mais n'était-ce pas si joli ? Et je referme le livre d'aujourd'hui où il n'y a rien. Il y fallait du souffle et aussi les magnifiques clichés de 1934, et je n'y ai trouvé que monotone chronique journière coupée de petites attaques personnelles. Et que dire de l'édition, de cette incroyable couverture, des photos insipides ou mauvaises, de la présentation baclée ? Trois cents pages, trois cents toutes petites pages, et voici le Nanga Parbat emballé pour la postérité.

Une expédition partie et revenue dans la confusion, un livre sans âme, une édition française pour kiosque de gare, non, décidément, le Nanga Parbat méritait autre chose. Qui donc nous écrira son histoire ?

Georges LOYER.