CRITIQUES DE LIVRES

NOIRCEUR des CIMES

par Thierry LEDRU

(Altal 2007)

 

Gaston Rébuffat disait qu'il faut grimper avec la tête... Luc, le héros de ce roman, s'attaque à un très gros morceau : le K2, le plus difficile des grands sommets, par une des voies les plus techniques.

Donc, Luc réfléchit beaucoup... Pourtant, Luc est un homme simple, charpentier de son état. Sandra, sa compagne, fait des études de philosophie, et prépare même un essai sur la quête spirituelle. Elle a fini par l'énerver, avec ses raisonnements compliqués.


Luc est donc parti sur cette montagne qui a été le décor de nombreuses tragédies. Sandra n'est pas passionnée de montagne. Elle a cependant accompagné Luc jusqu'au camp de base, pour profiter de la tranquillité et travailler sur son livre. "Elle écrit : l'erreur de Descartes a été d'amalgamer la pensée à l'être, d'affirmer que l'identité dépend de la pensée, que cette pensée est un acte de maitrise, le fondement de l'espèce humaine et de sa supériorité". (p 54)

Et Luc grimpe. "Il a l'impression de se diluer dans l'espace, de perdre forme et simultanément il ressent avec une finesse rare le courant de son souffle, la chaleur de ses muscles" (p 55)

Luc a décidé de se séparer de Sandra : elle est trop intellectuelle pour lui, et il ne comprend pas bien ce qu'elle lui raconte. Sandra, de son côté, a également décidé de se séparer de Luc : elle s'est rendu compte que la montagne occupe toute sa vie, et ne lui laisse aucune place.

Luc est accompagné de trois amis, qui forment deux cordées. Evidemment, les choses ne se passent pas très bien... Le temps se gâte, il neige, des avalanches se déclenchent... Et personne ne connait la voie de descente par l'arête des Abruzzes : cette voie est longue, technique, complexe - et dangereuse. Le décor est en place pour de nouveaux drames.

Pendant son long cheminement pénible, des pensées assaillent Luc. Il comprend beaucoup de choses. Il se découvre lui-même. "Il n'est parvenu durant toutes ces années d'errance intérieure qu'à enfermer son être dans un sarcophage rutilant, mais l'insignifiance de la prison le révolte désormais" (p 166).

Sandra pense également beaucoup. "La forteresse qu'elle entretenait avec acharnement n'était qu'une geôle. Elle doit s'abandonner, ne pas résister, ne pas chercher à colmater l'ouverture. Lâcher prise. Cette enceinte humaine n'est jamais que le moi encapsulé dans un modêle figé, séparé de l'Univers du Vivant, pétri de convictions partagées, de perceptions faussées, d'expériences négligeables, d'éducations imposées, de pensées légiférées" (p 217). La radio qui les unit étant souvent silencieuse, elle se rend compte qu'elle est tout de même très proche de Luc, qu'elle peut l'aider en le soutenant par la pensée.

Les voies intellectuelles qu'ils suivent sont convergentes.

Dire que la lecture de ce livre est facile serait sans doute un peu exagéré, mais l'action est toujours présente, dramatique, et l'on a envie de savoir comment les choses vont évoluer. Les descriptions sont précises, crédibles. On comprend que l'auteur parle d'un sujet qu'il connait bien.

Et, évidemment, le lecteur est fasciné du cheminement intellectuel de ces deux êtres pourtant si différents.

A lire, donc. Et si vous ne comprenez pas tout, ne désespérez pas : vous ne serez sans doute pas le seul...

 


Daniel MASSE.

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