CRITIQUES DE LIVRES

LE GRAND OISANS SAUVAGE

par Samivel

(Arthaud, Paris, 1978).

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°1 - 1979)

 

 

Grand Oisans, car ce livre ne limite pas son propos au strict Oisans géographique, c'est-à-dire au bassin de la Romanche et de ses affluents, mais l'élargit à l'ensemble du massif Ecrins-Pelvoux, entité montagnarde marquée d'une très forte unité. Et sauvage, car il s'agit, déclare fort justement l'auteur, du terroir "sans doute le plus âpre et le plus farouche de France" ; et, ajouterons-nous, de toutes les Alpes. Ce caractère de sauvagerie fondamentale, irréductible, domine tous les autres.

C'est de ce monde à part, dur et beau entre tous, que Samivel nous conte l'histoire, ou, pour reprendre son propre terme, la saga, qui part des grandes convulsions géologiques et, par les étapes d'une colonisation humaine très lente, difficile et précaire, aboutit à notre étrange époque d'alpinisme, de ski ; de promoteurs, hélas mais aussi de parcs naturels (le poison et le contrepoison...) : phénomènes qui, en quelques dizaines d'années, ont incroyablement bouleversé la vie et l'économie montagnardes traditionnelles.

 

Fort d'une documentation riche et précise, le livre de Samivel présente nécessairement certains traits communs avec le récent ouvrage de Paul Louis Rousset Au pays de la Meije. Mais, outre que son sujet est plus vaste, Samivel ne se borne pas à exposer les faits et les événements : il apprécie, juge, prend parti. Historique, son étude est également critique ; et orientée en fonction d'une éthique montagnarde et, plus largement parlant, humaniste qui se retrouve d'ailleurs dans tous ses écrits. De là vient sans doute qu'il ait accordé une large place à certains événements : ainsi par exemple, de la longue suite de persécutions qu'eurent à subir, quatre siècles durant, les Vaudois et autres Réformés de l'Oisans et du Briançonnais. Ce qui prouve une fois de plus que, si impitoyable à l'homme qu'ait été la nature, l'homme peut lui être plus implacable encore.

Pages sombres auxquelles, comme le jour alterne avec la nuit, répondent des pages claires et même lumineuses : celles qui relatent les travaux et les saisons des montagnards de naguère; celles aussi qui décrivent et exaltent dans sa liberté belle une vie animale trop souvent menacée par l'homme. Le lyrisme de l'auteur, ailleurs contenu, peut alors avec bonheur se donner libre cours.

Au total, un livre riche de connaissances méditées, qu'il faut lire un peu comme le roman d'une terre secrète et farouche, trop forte d'abord pour l'homme, puis peu à peu apprivoisée par lui mais ne nous y trompons pas : cette apparente conquête est précaire !

Le propos de l'ouvrage, d'autre part, déborde son cadre particulier. Si l'Oisans par son extrême dureté constitue un cas limite, la relation fidèle de la vie montagnarde d'antan est, à tel ou tel détail près, d'une portée tout à fait générale.

Mentionnons, enfin, les belles photographies (de l'auteur pour la plupart) qui illustrent éloquemment les divers aspects de cet ouvrage dédié à "la vertu inattendue des lieux sauvages".

La sauvagerie de la nature est source de civilisation, elle doit être respectée et protégée comme telle.


Georges SONNIER.

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