CRITIQUES DE LIVRES

PASSAGE Cahiers de l'alpinisme

sous la direction de Bernard Amy.

(Editions Fernand Lanore, Paris. 1977).

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°1 - 1978)

 

Enfin.

J'attendais, qu'un jour, on puisse écrire sur l'alpinisme. Je sentais confusément qu'on pouvait établir un contact littéraire qui régénérerait, qui donnerait envie d'écrire, qui serait une stimulation, qui serait plus un trait d'union entre l'homme et la montagne et son "moi", qu'une feuille relatant les réalisations alpines mondiales, pour ne pas dire mondaines. Eh bien voilà, c'est fait... Longue vie donc à Passage.

Comment situer cette revue par rapport aux autres revues de montagne ? Disons-le tout de suite, Passage se situe sur un autre registre que la revue du CAF.

Dans Passage, pas de topos, pas de descriptions d'itinéraires, pas de chronique alpine, pas d'informations techniques. Par contre : des critiques de films, de musique, de livres; des essais poétiques, des nouvelles, des manifestes sur l'alpinisme, des essais ésotériques et pataphysiques. A travers tout cela, on laisse transparaître la montagne, quitte à faire appel à sa représentation psychanalytique quand le sujet est par trop éloigné des préoccupations de l'alpiniste.

 

 

Parmi les douze articles figurant au sommaire, trois appartiennent à la catégorie "Esotérisme poétique". On joue avec les mots, la lecture doit être faite à haute voix et le plaisir naît de la dilatation des trompes d'Eustache. Le lecteur est d'ailleurs averti : "le questionnement poétique ...réveille une lumière ...qui accroît en nous, non la compréhension, mais la conscience d'une complexité, seule source de connaissance". Ou bien : "Lecteur, aime l'effort de comprendre ces textes que tu saisis mal".

Après cette lecture, on pourra distinguer deux types de réaction de la part des grimpeurs :
- Le lecteur qui aura su accepter l'élévation spirituelle dispensée par les animateurs de cette revue. Pour celui-ci, la béatitude et la sérénité retirées de cette lecture lui permettront de monter les escaliers de son H.L.M. dans la lumineuse clarté de son moi retrouvé.
- Le lecteur réfractaire, réactionnaire, qui, préférant la luminosité du texte à celle de l'esprit, pourra se défouler sur la roche et la glace avec une frénésie proportionnelle à son allergie à l'ésotérisme.

On trouvera également un article qui, dans une première partie, remet en question la notion d'expédition. Excellente démarche. Dans une deuxième partie, l'auteur tourne en dérision les camarades de l'expédition à laquelle il aurait dû participer à part entière. Ne s'étant pas totalement solidarisé pendant l'expédition, il n'est pas étonnant que " C " se désolidarise après. Cependant, si nous souhaitons que ce déballage de rancoeur ait pu soulager l'auteur de cet article, il n'en reste pas moins que la deuxième partie, en manquant à la camaraderie la plus élémentaire, gâche un peu l'ensemble. En outre, il est étonnant que l'auteur, dans le cadre de cette analyse ironique, ait tant d'indulgence avec lui même. Individualistes de tous les pays, unissez vous ! Quelle expédition vous ferez ! Hélas, trop souvent, intellectualisme rime avec égocentrisme.

Mentionnons également un article très violent; chaque phrase est une formule chargée à balle. Beaucoup d'alpinistes refusent l'évolution mercantile dont la montagne est le jouet, beaucoup préfèrent le splendide isolement, mais combien se sont demandés pourquoi (un pourquoi au niveau de l'homme avant sa justification au plan socio-politique); là, les Cahiers prennent toute leur importance. Combien ont crié leur indignation ? Là encore les Cahiers en ont le courage : "Donc, contre les institutions, nous reprendre en charge : ne laissons pas faire de l'alpinisme un service public"... "Fallait-il équiper et vendre la Grande Traversée des Alpes, fallait-il agrandir (le refuge d') Argentière" ...

..."Affolés de l'ultime, desesperados du "marche ou crève" , sprinters de l'Alpe, vous qui avancez le regard vide"... et encore : "Ces faux monnayeurs de l'élitisme... qui font la courte échelle aux professionnels des grandes surfaces." La plupart des articles traitent de la psychologie du montagnard actuel et passé, un peu dans la tradition de Samivel (cf. Hommes, cimes et dieux) notamment on y propose une transposition à l'alpinisme d'une étude psychologique et sociologique établie pour le sport et le tourisme. Je ferai simplement remarquer que l'aspect ludique de la montagne est toujours négligé. Pourquoi ne grimperait-on pas par simple distraction, comme certains vont à la pêche ? Pourquoi ne voudrait-on pas accumuler les grandes courses comme certains sont fiers de leurs gardons ? Doit-on systématiquement assimiler compétition (par jeu) et élitisme ? Pourquoi réduire la montagne à une recherche de son moi ? L'alpinisme peut être un jeu collectif. Une expédition peut très bien s'envisager sous cet angle. Dans ces conditions, vouloir dégager les fondements psychanalytiques de l'alpinisme en dehors du contexte plus général de celui du jeu, me semble réductif. Mais peu importe, je ne ferai pas le procès d'une recherche honnête et passionnante telle que celle qui est faite dans Passage. D'autant plus que les Cahiers se veulent ouverts à tous ceux qui se sentiront capables d'innover tant sur le plan de l'analyse des idées que sur celui de l'écriture. Les textes de ce numéro 1 donnent le ton; certains sont réellement violents, démystifiants, importants, à lire et à apprendre par coeur. Puissent ces Cahiers révéler des poètes de la verticale !

Au niveau de la présentation, on a adopté le format d'un livre (14 x 21). Pas de photos d'illustration pure; parmi les dix-sept choisies, seules sept ou huit répondent aux voeux des rédacteurs, à savoir constituer un moyen d'expression en soi. Ceci dit, il est regrettable que la page des légendes ne comporte pas les numéros des photos. Enfin, il y a une certaine confusion et hétérogénéité dans la présentation des articles réservés aux analyses de livres, de films etc.

En conclusion : j'attendrai désormais avec impatience La Montagne et Passage. Je crois en effet qu'il est indispensable d'avoir une revue d'informations (même techniques) reflétant l'actualité montagnarde. La Montagne c'est le "comment grimpe-t-on aujourd'hui". Il est également indispensable d'avoir une revue de recherche, où la question n'est plus "comment" mais "pourquoi" grimpe-t-on.

Guy LUCAZEAU.

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