CRITIQUES DE LIVRES

LES PYRÉNÉES - Les 100 plus belles courses et randonnées

par Patrice DE BELLEFON.

Denoël.

(Revue " Montagne et Alpinisme" - N°2, 1976)

 

 

Pour parler de ce livre avec la sérénité convenable, il faut d'abord faire taire les préventions qu'on peut légitimement nourrir contre la formule même de la collection dirigée de main de maitre par Gaston Rébuffat. En dehors de l'appât commercial, dont nous laissons l'éditeur juge, comment justifier qu'on nous donne cent courses quel que soit le massif, les Pyrénées (415 km d'Hendaye à Cerbère) ou les Calanques (15 km des Goudes à Cassis) ? Ni la géographie, ni la littérature, ni l'esthétique, ni l'alpinisme, encore moins la logique, n'y entrent pour quelque chose.

Disons encore que les Pyrénées sont assez vastes et assez foisonnantes pour qu'on y trouve cent beaux itinéraires sans aller en chercher trois dans la Cordillère cantabrique (et deux dans la Cordillère catalane). Quelque admiration qu'on ait pour Schrader, son autorité en la matière est mince et, malgré la longue tentative de justification de l'auteur, nous nous en tiendrons à une rigueur qui est celle des faits : les Picos de Europa ne sont pas pyrénéens.

 

Quant à l'illustration, elle peut décevoir à première vue, si l'on ne considère que les panoramas de haute montagne en noir et blanc : techniquement ils laissent à désirer. En revanche, la plupart des paysages en couleurs (notamment les "quarts de page"), par leurs teintes acidulées, leurs dégradés subtils, leur fine précision, la transposition expressive des contrastes, ont le charme particulier des miniatures. Autre charme du livre, charme ambigu certes : le large éventail des courses qui montre toutes les possibilités du massif, marche, escalade, ski, spéléologie et même natation. Pour la première fois dans cette collection, les itinéraires sont répertoriés dans un ordre de difficulté croissante, de la "promenade" du pic de Ger aux voies ED du pic d'Ossau. Cela risque de désorienter ceux qui ne connaissent pas bien la chaîne, mais il y a un schéma de situation et, au total, ce n'est pas une mauvaise solution. Autre innovation : les courses à skis ; nous y applaudissons. Originales encore, les descentes amphibies du rio Veto ou des gorges d'Holçarté. Pour ce qui est du choix même des courses, nous n'en dirons rien, car dès qu'il choisit, l'homme se trompe ; Bellefon a donc droit à l'erreur. Mais qui aura le courage de décrire les 100 courses "les moins belles" du Mont Blanc, des Écrins ou des Pyrénées ? Ce serait intéressant aussi.

Enfin il y a le texte de Patrice de Bellefon. Sans doute l'histoire de la "conquête" des Pyrénées a-t-elle eu de meilleurs chroniqueurs, de Béraldi à Marguerite Gaston. Mais je ne crois pas qu'on ait jamais vu, senti, vécu, et exprimé le "pyrénéisme" comme l'auteur. Avec la sensibilité aiguë de l'homme du pays qui connaît de l'intérieur la montagne et ses hommes, même s'ils sont divers du Pays basque à la Catalogne, il nous dit l'originalité de cet alpinisme pyrénéen si attachant en ce qu'il est à l'échelle de l'homme.

II nous fait voir aussi, en un chapitre saisissant, combien les Pyrénées sont changeantes, telles l'été, tout autres l'hiver.

Aux chantres déjà légendaires comme Ramond, Russel ou les Cadier, il faudra ajouter, bien vivant, Patrice de Bellefon.

Comment aussi ne pas lui dire notre gratitude quand, sans avoir l'air d'y toucher, il définit une politique de protection de la montagne : respect du travail des générations qui nous ont précédés, désaveu des "chasses photographiques collectives", protestation contre les sentiers au cordeau du Parc national, refus d'un trop grand "équipement" de la montagne (balisage, refuges, remontées mécaniques, stations de ski), réprobation de l'alpinisme de foule. Politique, mais aussi philosophie de la montagne et éthique de l'alpinisme sous tendent, pour chaque sommet, le commentaire par lequel l'auteur, pour nous inviter à partager son plaisir, donne les raisons de son choix, qui sont le plus souvent les raisons du coeur amoureux.

Jean BOCOGNANO.

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