CRITIQUES DE LIVRES

LE MASSIF DES ÉCRINS,

les 100 plus belles courses et randonnées,

 

 

 

par Gaston REBUFFAT - Denoël, Paris. Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 2, 1975

L'Oisans, lentement, avec regret, cède le pas aux vagues de la mode et des nécessités : le Parc et sa publicité; bientôt le premier téléphérique au dôme de la Lauze; les hommes d'affaires de la montagne; les livres racoleurs et séducteurs.

Les 100 plus belles courses et randonnées dans le massif des Écrins sont donc opportunément dans l'ordre historique des choses. Elles font suite, plus ou moins logiquement, au passionné Apprenti montagnard, et de très près au séduisant Massif du Mont Blanc, les 100 plus belles courses.

L'ouvrage est aussi bien ficelé que son analogue sur le Mont Blanc. Et, sur le plan technique, on ne peut guère lui faire de reproche. Un choix de photos flatteuses et excitantes permet aussi bien de préparer une course que de la revivre au coin du feu ou de tout simplement rêver. Les croquis ont le mérite d'être simples. Les notes techniques sont claires, réactualisées mais font malgré tout double emploi avec celles du guide Devies-Labande et Laloue. Signalons cependant pour les connaisseurs, et afin de leur éviter le choc de la surprise, l'existence de quelques erreurs (photos à l'envers; noms écorchés; tracés faux) que les rééditions certaines ne manqueront pas de corriger.

Mais de par sa conception même, cet ouvrage à succès appartient à un genre qui fait trop penser à : "Comment apprivoiser l'Oisans en 100 leçons, et collectionner de belles courses par une gradation habilement calculée ". Il va dans le sens du nouvel aspect des choses et de l'alpinisme en particulier: la consommation. Et cet outil, comme tous les outils de vulgarisation, veut répondre à trop de besoins pour les satisfaire tous. De plus il supprime le problème du choix per-sonnel et par là un degré de liberté essen-tiel : la vôtre. On vous prend par la main et vous dirige sur un réseau déjà préétabli, maintenant écrit noir (et en couleurs) sur blanc. Ce réseau de courses, déjà encombrées en majeure partie, va se trouver en peu de temps saturé. Cet ouvrage ne peut pas ne pas participer à la dégradation du charme de l'Oisans, et même l'accélérer, bien que son but paraisse au premier abord louable. On ne divulgue pas impunément les secrets sans perdre le mystère, la solitude et donc l'aventure qui étaient le propre de l'Oisans. Les amoureux inconditionnels du massif et qui ont choisi de l'être, savent que les " grands-espaces-sauvages " se vendent bien. Spectateurs impuissants, ils livrent avec regret aux foules ce paysage ami de leurs paysages intérieurs. On ne refuse rien aux foules ni à leur soi d'anéantissement, fruit logique de leur univers habituel, morne, gris, irrationnel et qu'elles s'acharnent désespérément à reproduire partout où elles vont.

Bernard VARTANIAN.