CRITIQUES DE LIVRES

Qui ne risque rien, n'a rien

par Edmund HILLARY

(Ed. Buchet Chastel, 1978. Traduit de l'anglais par Florence Herbulot).

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°1 - 1979)

 

 

A une époque où la commercialisation des voyages et de la haute montagne se fait de plus en plus sous le signe d'une devise publicitaire désormais connue l'Aventure sans Risque ; où l'organisation même du jeu exploratoire développe chez les "aventuriers" de tous poils une mentalité d'assistés, le titre de l'autobiographie de E. Hillary vient rappeler à temps que pour "recevoir plus que sa part d'émotion, de beauté, de rire et d'amitié", il faut savoir consentir à quelques petits sacrifices.

E. Hillary n'a pas atteint le sommet de l'Everest et le Pôle Sud parce qu'il a eu de la chance, parce que son destin était d'en arriver là. Son destin, c'était d'abord, en certains instants de son existence, d'avoir le courage de ne pas faire demi tour, de posséder le savoir très clair de ce qu'est l'aventure : une entreprise où le hasard a sa part.

 

Tout au long de son livre, il reprend cette idée en montrant comment il a toujours fait en sorte de s'engager sur des chemins risqués. Et jusqu'au bout aussi il tente de montrer quelles satisfactions trouve celui qui sait suivre de tels chemins. Depuis les montagnes de la Nouvelle-Zélande jusqu'à l'Himalaya, qui rapidement deviendra sa deuxième patrie, en passant par l'Antarctique et les massifs européens, on voit peu à peu apparaître le grand alpiniste à la fois curieux de la soudaine célébrité apportée par l'Everest, fasciné par tout ce qu'elle lui permettra de découvrir, mais gardant au fond de lui la nostalgie du pays d'enfance où toujours le ramènent ses voyages.

E. Hillary a t il été dépassé par son propre personnage ? Le livre d'abord le laisse croire. L'auteur s'y présente comme un "médiocre doté d'une certaine force fruste" dont la principale qualité a été d'avoir su apprivoiser la peur. Mais à la fin on se dit que ledit médiocre en a trop fait pour n'être que cela. E. Hillary, semble-t-il, est plutôt de ceux qui ont vu un jour se dresser à côté d'eux un double qu'ils n'attendaient pas, mais ont su tout de suite marcher devant lui, sans se laisser mener et tout au contraire le menant toujours où bon leur semblait.

Mais pour raconter tout cela fallait-il vraiment couvrir 327 pages d'un texte dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est peu aéré ? Le style est clair, simple, la façon de conter aussi. Et pourtant, si l'on excepte les pages relatives aux grands instants de la vie de Hillary, la moitié de l'ouvrage se lit un peu en diagonale. On sait qu'en mathématiques un tableau de n lignes et n colonnes, contenant donc n2 éléments, possède sur sa diagonale n éléments. Un calcul simple montre alors que le lecteur n'en aurait pas moins appris sur la vie de Hillary en seulement 180 pages. Fallait-il vraiment un tel luxe de détails pour décrire les premières courses en Nouvelle Zélande, les vols de nuit pendant la guerre, certaines parties de la route vers le Pôle ? Le lecteur s'y perd, qui se trouve entraîné un peu malgré lui dans des aventures que l'auteur a certes vécues avec exaltation mais dont la description minutieuse, tant d'années plus tard, ne présente plus beaucoup d'intérêt. Et l'attention s'y perd, elle aussi, qu'une simple analyse de ces aventures, pour ainsi dire annexes, aurait facilement tenue en éveil jusqu'au récit des grands moments.

L'autobiographie n'est pas facile. On veut tout raconter, et il faut choisir. Ce que l'on garde à raconter, on voudrait à ce point le faire revivre, qu'on accumule des mots et des mots sans jamais parvenir vraiment à recréer les instants passés. II faudrait se dire que le passé ne peut être à nouveau vécu, se demander quelle part de ce passé on voudrait transmettre, et trouver les mots juste suffisants pour dire cette part. E. Hillary voulait nous dire qu'il a eu bien des choses parce qu'il a su prendre le risque de les manquer. Mais en bien des endroits il n'a pas trouvé ce juste milieu des mots qui place l'écrivain à mi-chemin de la dissertation philosophique et du compte rendu d'activité.

Que le lecteur ne se décourage pourtant pas ! Quand E. Hillary est amené à parler d'événements connus et qui ont déjà donné lieu à de longs récits détaillés, il se trouve contraint de résumer et de ne plus suivre que ce qui a été pour lui la fibre maîtresse de ces événements. Et là il donne sa vraie mesure, celle d'un homme qui a su mener avec simplicité de grandes entreprises, et sait aujourd'hui les décrire sans emphase et sans vanité.


Bernard AMY.

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