CRITIQUES DE LIVRES

LA CONQUETE DU SALCANTAY

 

 

Bernard PIERRE.

Amiot-Dumont, éditeur à Paris. Collection Bibliothèque de l'Alpinisme, dirigée par Bernard Pierre.

180 pages de texte et 16 pages d'illustsation

(Revue " La Montagne" - No 363, 1953)

 

On attendait ce livre avec une certaine curiosité. On l'avait déjà deviné dans un grand journal du soir, ramené aux dimensions du découpage en feuilleton entre "les Aventures d'Arabelle", "La Dernièrc Sirène " et "Les Amours célèbres" ou "Le Crime ne paie pas" en comics. Singuliers voisinages, mais alors qu'on lit une chronique d'alpinisme jusque dans L'Equipe, est-il encore séant de s'étonner, voyant nos montagnes, ces simples paysages de Dieu, poussées sur l'estrade de la "grande" presse et du pire sport professionnel ? Après les Géants de la Route, voici donc un Géant des Andes, et déjà, dans une autre collection du même éditeur, et sous la signature de grands voyageurs dont l'auteur de "La Conquête du Salcantay", un titre, pourtant heureux : "L'Aventure, notre vocation" est surchargé de l'incroyable bande : "Les Princes du Risque vous parlent" (sic). Alpiniste, est-ce toi, est-ce bien toi ?

Le destin dc l'auteur est peu commun, et il semble avoir la facilité et la rigueur d'une progression géométrique. D'emblée, les "grosses" courses, le Badile de Cassin, chaque an nouveau une autre aventure : Hoggar, Andes, Himalaya, un livre à chaque retour et aujourd'hui la direction d'une collection alpine, n'est-ce pas la réussite humaine de valeur et quasi planifiée ? Certes, la logique en est belle et belle aussi la volonté qui l'anime, mais ses récits n'ont jamais cette intensité. Une plume aisée qui ne sent jamais l'effort, une langue heureuse, une culture toujours enviable ; mais d'une méharée naissent ces laborieuses "Escalades au Hoggar", et aujourd'hui d'une belle victoire et d'une montagne difficile rien ne jaillit au delà de pages alertes sous un titre bruyant. Rien n'émeut dans ce livre où l'on recherche trop, et quelquefois en vain, l'homme tout court derrière un homme très brillamtt. J'avais trouvé passionné et tout autre le récit de Madame Claude Kogan dans Alpinisme, mais ici, quand s'achève la relation de l'aventure, on ne peut que dire avec l'auteur : "I.e Salcantay est FAiT" et rien d'autre, le coeur est loin. Applaudissons au succès et à sa valeur.

On aura confusément une impression de "remplissage" dans la seconde moitié du livre, véritable "digest" de l'expédition aux Andes : comment y aller, s'y habiller, quoi manger, et comment parler quichua. Je sais l'intention bonne, mais était-il vraiment nécessaire de faire passer au lecteur cette rigoureuse revue de détail ? Le temps est peut-être venu d'écrire et de publier un manuel technique de l'explorateur alpin, mais je ne pense pas que la littérature ait à gagner à une confusion des genres.

Mais cet imparfait "Salcantay" est une date dans l'histoire de l'édition alpine française, car voici rompu le splendide isolement d'Arthaud. Déjà, Amiot-Dumont donne un à-paraître fourni et comme on s'y attendait, l'Everest 53 y figure en bonne place. Il y a du "best seller " dans l'air et ce catalogue me semble avoir l'avenir combatif. Pour exprimer une expression que ne désavouerait pas un journaliste de la "Grande Presse" Sportive, souhaitons que, bien qu'il y ait d'un côté un beau retard à combler, ce match soit au "finish" plutôt qu'à "l'arraché".

Allons, lecteur, il ya encore de beaux jours pour toi. .

Georges LOYER.