CRITIQUES DE LIVRES

SUR CETTE MONTAGNE

 

 

Eric SHIPTON.

Traduit de l'anglais par J. et F. Germain. Collection Sempervivum. Editions B. Arthaud, Grenoble et Paris - 1950.

(Revue " La Montagne " - No 351, 1951)

 

Voici une autobiographie, si naturelle dans sa prodigieuse exception, que chacun, s'il lève un instant les yeux de sa lecture pour rêver, se demande " Ne pourrais-je vivre ainsi ? "

C'est l'histoire d'un homme qui vécut dès son plus jeune âge dans une seule pensée, pour une seule attente : découvrir le monde. D'abord par les livres sur les bancs du collège, puis par de modestes voyages à pied en Angleterre, en Norvège, en France, les montagnes, aussi bien que les forêts ou la mer, le fascinant de leurs mystères. Et lorsque, sur ses vingt ans, il doit embrasser une situation, il ne renie pas ce qui jusqu'alors l'a fait vivre, a constitué les valeurs qu'il sent en lui : il vivra pour découvrir le monde, conservant dans l'expérience qui s'accumulera " l'ardente humilité d'un enfant ".

Au reste, Shipton est l'un des alpinistes anglais contemporains les plus représentatifs. Il fit ses débuts en Dauphiné, fit par la suite la plupart des grandes classiques des Alpes, avant de partir pour l'Est Africain où il vécut plusieurs années. Il gravit le Kenya, le Ruwenzori, jusqu'au jour où quelques amis l'aidant, il découvre l'Hinalaya. Dès lors, c'est sa vie : Kamet 1931, Everest 1933, 1935, 1936, 1938, Nanda Dcvi 1934, Karakoram 1937 et 1939 : la guerre le surprend au coeur du sauvage Shaksgam.

Dans la carrière qu'il a embrassée, il est tôt devenu un maître : il apporte et défend par les actes une conception originale de l'exploration himalayenne : celle des expéditions légères, ravitaillées sur le pays, ou " sahib " et sherpas sont égaux dans la peine.

L'expérience infirme cette conception pour les plus de 8.000, mais tout porte à croire qu'elle est la justesse même pour les grandes randonnées de découverte? et les 7.000 mètres. Cette chaleur dans la défense des idées devient émotion lorsqu'il relate les heures graves, et je n'ai jamais lu de pages plus intenses et véridiques sur la vie et les souffrances des grandes altitudes que son chapitre " Everest 1933 ".

Lisez ce livre. Vous le ferez avec plaisir car il est excellemment traduit, avec chaleur, avec goût. Il est de plus réconfortant, car c'est l'image d'une vie pleinement réussie, par des voies que nous connaissons tous.

Marcel SCHATZ.