CRITIQUES DE LIVRES

LA TÉNÈBRE ET L'AZUR

par Anne SAUVY

(Ed. Arthaud. Paris, 1991)
(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 3, 1991)

Un jour, Anne Sauvy m'a avoué : « Je rêve mes nouvelles la nuit et, au réveil, je n'ai plus qu'à mettre tout ça sur le papier. La nouvelle est construite. Tout est dans ma tète, jusqu'au moindre détail. » Faut-il voir dans une élaboration purement onirique l'explication à cette légèreté de ton et de touche qui rend si agréable la lecture des textes de cet auteur? Faut-il chercher le secret de ces bascules subreptices du réel au fantastique dans une sorte d'alchimie sub­consciente? Peut-être. Et peut-être lira-t-on ainsi son dernier livre La Ténèbre et l'Azur.


Mais le rêve n'est malheureusement ni la manne de toute rédaction ni le moteur unique de la création littéraire. Ça serait trop commode! Derrière la facilité d'écriture, qui rend convaincantes les intrigues les plus échevelées de ces seize nouvelles, il y a une documentation sans faille et le regard aigu du sociologue. Voyez donc le contenu de la bibliothèque de Daniel dans la nouvelle L'Arrière-Saison, ou le déprimant bulletin d'information dans la nouvelle La Ténèbre et l'Azur. Je pense aussi aux réflexions entendues sur la terrasse de l'Aiguille du Midi, dans Midi-Minuit. Autant dire que les habitués, ceux qui ont déjà aimé les précédents recueils de cet auteur, Les Flammes de pierre et Les Jeux de la montagne et du hasard, retrouveront dans La Ténèbre et l'Azur le même bonheur à lire ces descriptions de la beauté montagnarde, ces évocations du microcosme alpin, ces dénonciations des pollutions en tous genres. Les autres découvriront la justesse de ton, la variété du propos qui font le style d'Anne Sauvy. Mais ce qu'il y a de nouveau dans La Ténèbre et l'Azur, c'est l'affirmation d'un genre. Celui dans lequel excelle Anne Sauvy est une cocasserie mordante, tranchante comme un scalpel. À ce niveau d'analyse, ses "héros" ne sont plus des caricatures mais des archétypes. M. Picarreau, le pâle retraité qui tombe par hasard, à la T.V., sur un film de ski extrême (dans la nouvelle Drôle de drame) ou Wosdack, l'himalayiste qu'aucune catastrophe ne détournera jamais de son besoin d'expédition, sont des personnages qui rejoindront, n'en doutons pas, Samovar et Baculot, les héros de Samivel, ou M. Perrichon, dans l'imagerie alpine.

Bref, on l'a compris, il y a du Balzac dans l'air. Ou du Perec.

II y a comme un parfum de chef-d'oeuvre dans La Ténèbre et l'Azur.

Une seule question : À quand le grand roman qui permettra à Anne Sauvy de donner la pleine mesure de son talent?


Pierre MINVIELLE.

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