CRITIQUES DE LIVRES

ENTRE TERRE ET CIEL

 

 

film de Gaston Rébuffat, G. et P. Tairraz.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 36, 1962)

On a souvent reproché aux opéras wagnériens d'être indigestes. Le spectateur dont l'attention est à la fois sollicitée par la beauté du spectacle et la majesté de la musique, doit encore réfléchir à la philosophie du drame, pour finalement accéder à cet état de béatitude où aboutissent les fidèles de Bayreuth.

C'est un peu le cas entre cette " Terre " et ce " Ciel " où ce film nous transporte. Enchantés par la splendeur des images et la grandeur du cadre, mais distraits par une musique d'accompagnement où l'on prend plaisir à retrouver des airs classiques familiers, on cesse assez vite d'apporter une attention suffisante au commentaire oral.

On connaît la philosophie sereine que Gaston Rébuffat a construite autour de l'alpinisme. Hymne à l'amitié, au bonheur du prosélytisme en altitude. La montagne d'Entre Terre et Ciel est une compagne douce et accueillante à qui tout drame est étranger.

Sans doute la merveilleuse technique, l'aisance souveraine dont fait preuve l'auteur en haute montagne, apportent-elles à sa cordée une sécurité presque parfaite. Mais lorsque avec lui nous parcourons ces arêtes du Mont Blanc superbement révélées par les cinéastes, nous ne pouvons nous empêcher d'évoquer des drames anciens ou récents. Drapées de téléfériques, les Alpes se sont humanisées. Les médiocres s'en sont cru autorisés à y introduire la vulgarité. Nous devons savoir gré à Gaston Rébuffat d'y avoir conservé la grandeur en enchaînant simplement un démon pourtant toujours redoutable.

Les deux seuls épisodes tragiques évoqués (et à propos du Cervin, on ne pouvait guère faire autrement) ne sont pas la meilleure partie du film et le réalisateur y est visiblement aussi mal à l'aise que les acteurs. Les premiers films de montagne ont abusé du drame. Saturé de surhommes, le spectateur est enfin satisfait d'apprendre que les risques courus autrefois venaient de l'ignorance et de la pauvre technique des pionniers.

Les images sont admirables. Citons particulièrement la revue des " Aiguilles " passée par l'hélicoptère, le soleil couchant au sommet du Cervin, les arêtes du Mont Blanc et les scènes d'escalade où l'effort ne se révèle pas, tant l'exécution est parfaite. D'autres nous ont fait apercevoir les alpinistes : Rébuffat nous montre les Alpes.

Le grand public est conquis d'emblée. Cette montagne aimable lui plaît. L'alpinisme est une chose simple, propre à réjouir les coeurs purs. Mais notre secret reste caché.

.Alain de CHATELLUS.


Livre par Gaston Rébuffat; Photographies de Pierre Tairraz.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 38, 1962)

Arthaud, Paris, Grenoble.

Les auteurs de films de montagne ont pris maintenant l'habitude de faire éditer, après la parution de leur oeuvre, un ouvrage qui la synthétise et qui permet aux spectateurs de revoir les plus belles images vues dans le film.

Dans ce domaine, le dernier ouvrage de Gaston Rébuffat atteint à la perfection. Toutes les photographies sont les plus belles qu'on puisse voir, mais l'intérêt de ce livre se double d'un récit des courses décrites par le film, exposé au cours duquel Gaston Rébuftat présente ses compagnons d'escalade et de prises de vues.

On connaît la position philosophique de l'auteur vis à vis de la haute montagne. II se refuse à trouver en altitude autre chose que des joies pures qui sont pour lui l'occasion d'un retour à la simplicité de l'enfance. Tout le monde ne partagera pas son point de vue, et, certes, la haute montagne a attiré et attirera encore des hommes qui ne seront pas toujours des parfaits. Mais il faut reconnaître que l'admirable technique et l'équilibre moral de Gaston Rébuffat lui permettent cette position.

On le comprend beaucoup mieux à la lecture du livre qu'à l'audition du commentaire du film. L'auteur, grâce à un style simple et direct, débarrassé des artifices qui ôtaient de la personnalité à ses précédents ouvrages, nous plonge dans cette atmosphère amicale et joyeuse qui est celle des cordées qu'il conduit.

Félicitons le donc d'avoir si bien traduit ses conceptions propres et d'avoir autour de lui réuni des camarades qui les partagent.

L'édition est tout à fait admirable sur tous les plans et décourage la critique la plus attentive.

Alain de CHATELLUS.