Lorsqu'un glaciologue rencontre un autre glaciologue à cent ans d'intervalle, que se passe-t-il ?... En général pas grand chose, tout au moins pour le commun des mortels une citation, une référence bibliographique, un commentaire, parfois. C'est vrai, les scientifiques n'ont pas l'habitude de s'épancher, et quand bien même ils le voudraient, leur vocabulaire abscons ne s'y prête guère. Mais lorsqu'un scientifique musarde sur les bons côtés de la science, lorsqu'il s'égare sur les moraines buissonnières de l'histoire - non, pas l'Histoire, l'autre celle du quotidien singulier - lorsqu'il se prend de passion pour un ancêtre au point d'escalader son arbre généalogique jusqu'aux rameaux les plus touffus de sa première enfance de se ménager des rencontres avec ses amis d'études, d'explorer les bulletins scolaires truffés de points d'exclamation (thème latin : « II a continué à descendre, c'est désolant ! »

Orthographe : « Quelle chute, comparativement au passé ! », de sa vie sentimentale - Ah ! le regard de Gabrielle, page 41 !... - et par-dessus tout de cette étrange passion - celle du Mont Blanc - qui le prit soudainement un jour d'automne 1877 au cours d'un congrès de géologie...

Lorsqu'un glaciologue rencontre un autre glaciologue à cent ans d'intervalle, le miracle enfin se produit : l'ancêtre sort du dictionnaire, il s'anime et son histoire devient une histoire ; entre la florule des pavés montmartois et les cristaux de neige du Mont Blanc, l'intrigue se noue, passionnante, le destin d'un homme se dessine, un destin à la fois supérieur et ordinaire comme un clocher au milieu du village.

Bien sûr, lorsqu'il y a clocher, il y a parfois des querelles ; tant pis pour Janssen, le vieux servant boiteux, dont l'observatoire sombrera corps et biens dans les profondeurs du Mont Blanc ; Robert Vivian préfère l'autodidacte bâtisseur à l'académicien têtu.

Ce livre est un beau livre - bravo pour la superbe jaquette - un bon livre, friand et encore chaud de cette complicité qui, à un siècle d'intervalle a réuni deux hommes de talent : « Je ne puis voir un pic sans avoir la tentation de poser mon pied sur son sommet » avait déclaré le premier. « J'ai refait le chemin de l'homme illustre » a expliqué le second.

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Yves BALLU .