CRITIQUES DE LIVRES

1000 METRES DE VIDE, Une première féminine dans le Yosemite

par Christine de Colombel.

Ed. Nathan.

(Revue " Montagne et Alpinisme" - N°3, 1977)

 

 

C'est entendu, les alpinistes ne sont ni des mysogines ni des phallocrates, mais enfin, à feuilleter les chroniques alpines antérieures à ces dernières années, on pouvait se laisser aller à supposer que pour réaliser un exploit sensationnel en haute montagne, il fallait faire preuve, outre d'une technique accomplie, d'une endurance hors pair, d'une opiniâtreté sans bornes, d'un sang froid imperturbable, de nerfs d'acier, bref de qualités spécifiquement "viriles". Au fait, pourrions-nous seulement citer, pour la période de l'entre deux guerres, quelques noms d'héroïnes des Alpes ou du Caucase?

Heureusement, cette sorte de ségrégation a vécu, si bien que le second titre de cet ouvrage ne présente aucun caractère provocateur. D'ailleurs, il suffit de s'en tenir à l'ascension principale de l'équipe à laquelle appartenait Christine de Colombel : quatre jours à l'assaut du "Nose" du Capitan, cela démontre qu'une femme dispose d'un stock d'endurance et d'énergie qui permet les plus audacieuses tentatives.

 

Cette mise au point ayant été nécessairement faite, il reste à préciser tout d'abord que le titre laisserait entendre que cet ouvrage est axé sur le ténor du Yosemite. Disons que l'ascension du "Nose" du Capitan est la pièce maîtresse mais ajoutons que si le Yosemite est un terrain de jeu célèbre et amplement visité, par contre, les investigations laborieuses dans les montagnes du nord Canada et de l'Alaska nous captivent davantage encore dans la mesure où il s'agit en quelque sorte d'un no man's land défavorisé par les conditions atmosphériques. Quelques photos de silhouettes à mine sinistre, le cône fantastique du Devils Tower qui nous fait penser à un gigantesque kugelhof, nous émeuvent finalement plus que le Capitan dont la muraille nous est devenue familière grâce à un certain nombre de récits d'ascensions.

La relation de cette première dans le Yosemite se lit facilement, l'auteur adoptant un langage usuel, apte à nous faire partager ses difficultés et ses joies. Nous sommes loin du romantisme échevelé des conteurs de l'âge héroïque de l'alpinisme et il y a des moments où l'on voudrait courir à la bibliothèque pour feuilleter, par contraste, quelque Guido Rey ou même Young, ce classique de la littérature alpine, que Christine de Colombel cite d'ailleurs en tête de la seconde partie de son livre.

Une autre constatation s'impose. Au fil du récit, se glissent, comme incidemment, des remarques qui sont révélatrices ou d'un état d'esprit ou d'une technique particulière à un type de muraille. Ainsi apprenons-nous que les grimpeurs américains éprouvent peu d'enthousiasme pour les marches d'approche, que pour vaincre les innombrables fissures qui rompent la monotonie de dalles lisses, les spécialistes affectent de laisser le marteau au bas de la falaise, que la cafétéria voisine est apte à fournir éventuellement un complément de mousquetons indispensables à la poursuite de la course...

Une dernière réflexion. Le temps est définitivement révolu où l'on pouvait dire : "A beau mentir qui vient de loin". Allez donc raconter des histoires sur les cimes du Yukon ou du Yosemite à une époque où le Groenland et le Pérou sont inscrits parmi les classiques de la collective. Parions que l'année prochaine, plus d'un jeune lecteur du livre de Christine de Colombel trouvera bien un moyen pour aller caresser de ses doigts experts les à pics du Yosemite.

Marius COTE COLISSON.

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