CRITIQUES DE LIVRES

VOYAGE AU BOUT DU VIDE

par Christine de COLOMBEL.

(Ed. Fernand Nathan, Paris. 1981)

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 125, 1981)

 

Quand le goût de l'aventure pousse à partir en cordée alpine, à deux, pour se mesurer, sans oxygène ni porteur d'altitude, au Masherbrum, un honnête 7 800 m tout bardé de glace himalayenne (du Karakorum), le récit que l'on en rapporte repose, bien entendu, sur des bases solides. Mais si, par-dessus le marché, les deux intrépides sont un guide et une femme, l'attrait du récit y gagne un supplément, non pas croustillant, mais au moins psychologique.

Pour ma part, je l'avoue, j'ai surtout cherché à deviner Christine de Colombel dans ce récit d'aventure.

 

 

 

Que la narration écrite par elle et illustrée par les photos très originales de David Belden raconte comment tous deux ont remonté les pentes de la montagne en charriant des sacs énormes dans la neige profonde, en bravant les avalanches... qui finalement auront le dernier mot, tout cela n'excède pas l'intérêt habituel à ce genre de récit. En revanche, deviner ce qui anime ce diable de femme, plutôt frêle, née en plaine, refusant l'entraînement et la discrimination, savoir où elle trouve l'énergie de porter une charge lourde comme un âne mort jusqu'à 7 200 m d'altitude; voilà l'intérêt de ce livre. Christine de Colombel le savait d'ailleurs fort bien car les pages qu'elle a écrites fourmillent de détails, d'indications sur son attitude instantanée face à la montagne et face au danger. Pour le reste, c'est à dire la véritable recherche psychologique, pour les motivations profondes, l'analyse est plus complexe. "Partir pour mieux se connaître" écrit-elle à un moment, puis "Certains croiront que nous sommes venus dorloter nos fantasmes dans un silence ouaté" lit-on plus loin. N'y aurait-il pas là un brin de contradiction ? Non. La deuxième citation est entre guillemets dans le livre. Le lecteur perspicace devinera qu'il s'agit sans doute de l'opinion propre à David Belden. En réalité, toute cette entreprise limite, où l'on se tient longtemps aux portes de la solitude et de l'insécurité, aboutit à déstabiliser les structures profondes du cerveau. C'est cela la conclusion secrète de Christine de Colombel, cela le véritable "voyage au bout du vide".

Pierre MINVIELLE.

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